Uranium et indépendance : le Niger défié par le retrait d’Orano

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La suspension des activités du géant français de l’uranium Orano au Niger marque un point de rupture dans les relations entre les deux nations. Au cœur de cette crise : la quête de souveraineté d’un pays riche en ressources naturelles mais pauvre en infrastructures, face à un partenaire stratégique de la France, prêt à se désengager si les négociations échouent.

Une décision économique et stratégique inédite

Depuis 1971, Orano exploite l’uranium dans le nord du Niger, principalement à travers sa filiale Somaïr située à Arlit, région emblématique de l’industrie minière nigérienne. Cependant, la situation s’est compliquée avec le coût d’Etat de juillet 2023, suivi d’une réévaluation des contrats d’exploitation des ressources naturelles. Face à une absence d’autorisation d’exportation de la part du nouveau régime, la société française s’est trouvée contrainte de suspendre ses opérations, malgré plusieurs tentatives de conciliation.

À partir du 31 octobre, la production de concentré d’uranium sera interrompue sur le site de la Somaïr, une décision d’Orano annoncée après plusieurs mois de blocage. Cette suspension entraîne la mise en pause d’une production évaluée à environ 1 050 tonnes d’uranium, un stock dont la valeur marchande s’élève à 300 millions d’euros. Orano, détenue majoritairement par l’État français, a tenté d’ouvrir des voies de transport alternatives via la Namibie ou le Bénin, mais en vain. La fermeture des frontières et le manque de coopération du régime militaire nigérien ont rendu impossible toute perspective d’exportation à court terme.

La décision affecte directement près de 780 employés, ainsi que des sous-traitants majoritairement nigériens, dont les salaires seront maintenus jusqu’à la fin de l’année. Orano, face à cette impasse économique, a prévu d’assurer leur rémunération, mais l’arrêt des opérations augure une période de précarité et d’incertitude pour ces familles. La fin d’activité d’Orano pose des défis économiques à une région dépendante de l’industrie minière, tandis que les retombées sociales pourraient attiser les tensions locales.

La stratégie du Niger : reprendre le contrôle des ressources

En réaction aux tensions avec les partenaires étrangers, le gouvernement militaire du Niger a lancé la Timersoi National Uranium Company (TNUC), une société d’État destinée à remplacer les entreprises étrangères dans l’exploitation de l’uranium. Ce projet s’inscrit dans une volonté affirmée de mieux tirer profit des ressources locales, tout en créant une dynamique de souveraineté industrielle. L’idée est de garantir au Niger un plus grand contrôle sur la filière, en recentrant la production et les bénéfices dans des mains nationales, tout en négociant de nouveaux accords avec des partenaires tels que la Russie ou l’Iran.

Le régime nigérien affiche une volonté d’émancipation face à la France, qui, par le passé, exerçait une forte influence sur le pays et ses ressources. Après avoir exigé le retrait des troupes françaises et rompu les relations diplomatiques, le Niger montre un intérêt croissant pour des alliances stratégiques avec Moscou et Téhéran. Cette redirection géopolitique est symptomatique d’un changement de paradigme qui vise à diversifier les partenariats pour échapper à la dépendance de longue date vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale, tout en consolidant une indépendance sur le plan minier.

Le gouvernement nigérien a publiquement exprimé son désir de revoir les termes des conventions minières, jugées défavorables au développement national. Orano, bien que prête à coopérer, se trouve en position d’incertitude face à des exigences locales en matière de protection environnementale et de restructuration des sites exploités. Cette révision des accords miniers devient alors un enjeu de souveraineté pour le Niger, qui espère tirer un meilleur parti de ses ressources stratégiques tout en s’affranchissant de certaines dépendances économiques.

Un enjeu géopolitique : renégocier ou quitter

La suspension des activités de Somaïr suscite des attentes de la part de la société civile nigérienne. Amobi Arandishu, président de la coordination civile d’Agadez, appelle Orano à ne pas quitter sans respecter des conditions strictes : réaménagement des sites, prévention de la pollution des nappes phréatiques, et réinsertion des anciens employés. Ces revendications traduisent les préoccupations environnementales et économiques d’une population directement affectée par l’exploitation minière, et qui craint les effets néfastes d’un retrait précipité.

Pour Ali Idrissa, secrétaire exécutif du Réseau des organisations pour la transparence et l’analyse budgétaire (Rotab), “cette situation offre une opportunité unique de renégocier une convention plus équitable pour les Nigériens.” La redéfinition des termes d’exploitation pourrait permettre une répartition plus équilibrée des profits entre l’État et ses partenaires, garantissant un accès plus équitable aux richesses nationales. Cette perspective ouvre la voie à une nouvelle approche de la gestion des ressources naturelles, basée sur la transparence et une redistribution plus inclusive.

Orano assure ses clients que la diversité de ses sources d’approvisionnement, notamment au Canada et au Kazakhstan, compensera l’arrêt de la production nigérienne. Bien que le Niger fournisse près de 5 % de la production mondiale d’uranium, la dépendance d’Orano à ce pays a diminué avec le temps. Cependant, cet arrêt questionne la stabilité à long terme des chaînes d’approvisionnement, alors que le Niger tente de redéfinir son rôle dans le marché mondial de l’uranium.

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