Afrique : théâtre d’une nouvelle guerre froide

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L’Afrique, loin d’être spectatrice, est au cœur d’une compétition féroce entre grandes puissances. Ce nouveau « grand jeu » oppose des acteurs traditionnels et émergents dans une quête d’influence militaire, économique et stratégique sur le continent.

Une présence militaire en pleine recomposition

Depuis la Centrafrique jusqu’au Mali, en passant par la Libye orientale, la Russie multiplie les accords de coopération militaire et sécuritaire. Sa stratégie repose sur les mercenaires de Wagner, utilisés comme bras armé pour soutenir des régimes fragiles en échange de concessions minières et stratégiques. Malgré ces avancées, Moscou reste confrontée à un obstacle majeur : l’absence de base militaire permanente. L’échec de son projet à Port-Soudan en 2020 en est l’illustration. En jouant sur une rhétorique anti-occidentale et en se positionnant comme alternative économique, la Russie étend son influence, mais ses ambitions sont souvent freinées par des moyens limités et une méfiance croissante de certains partenaires africains.

Première puissance commerciale en Afrique, la Chine déploie une stratégie discrète mais efficace pour accroître sa présence sécuritaire. Sa base militaire à Djibouti, opérationnelle depuis 2017, symbolise cette nouvelle approche, complétée par des investissements dans des infrastructures stratégiques. Pékin profite également de la réduction des livraisons d’armes russes pour se positionner comme un fournisseur incontournable, notamment en matière de drones. Parallèlement, la Chine explore l’établissement d’une base navale sur la côte atlantique, confirmant sa volonté de sécuriser ses routes commerciales. Cependant, cette montée en puissance s’accompagne d’une prudence accrue dans l’octroi de crédits, signe d’une approche plus sélective dans ses relations avec les États africains.

Face à l’activisme sino-russe, les États-Unis tentent de réaffirmer leur influence. Washington intensifie sa coopération militaire, tout en cherchant à endiguer l’expansion de Wagner et des projets chinois. À côté de cette rivalité des grandes puissances, des acteurs régionaux comme la Turquie ou les Émirats arabes unis jouent également un rôle croissant. La Turquie, par exemple, renforce son empreinte en Somalie avec une base militaire, tandis que les Émirats s’impliquent dans des conflits stratégiques comme en Libye. Ces puissances moyennes diversifient les options des États africains, accentuant la complexité géopolitique du continent.

L’effondrement des systèmes de paix africains

Créée à partir des années 2000, l’Architecture de paix et de sécurité en Afrique (Apsa) devait stabiliser les conflits grâce à la complémentarité entre l’ONU, l’Union africaine et les organisations régionales. Cependant, elle s’est révélée inefficace face à la recrudescence des crises. En RDC, en Centrafrique ou au Darfour, les missions de maintien de la paix ont souvent permis de contenir la violence sans jamais résoudre les causes profondes des conflits. Avec le désengagement progressif des grandes missions onusiennes, comme la Minusma au Mali, l’Apsa est devenue obsolète, laissant place à des solutions improvisées et bilatérales.

Après un déclin apparent dans les années 1990, le mercenariat connaît un renouveau en Afrique. Les groupes comme Wagner ou Executive Outcomes proposent des solutions rapides pour des gouvernements incapables de garantir la sécurité. Cependant, ces acteurs privés ne sont pas toujours efficaces sur le long terme, comme l’a montré l’expérience de Wagner au Mozambique en 2019. Dans ce pays, c’est finalement l’armée rwandaise, plus disciplinée et coordonnée, qui a pris le relais pour lutter contre les djihadistes au Cabo Delgado. Le recours croissant aux mercenaires reflète l’incapacité des États et des organisations internationales à fournir des solutions pérennes aux défis sécuritaires.

La fin annoncée des grandes missions de maintien de la paix, comme la Monusco en RDC d’ici 2025, témoigne d’un désengagement des acteurs internationaux. Ces départs laissent les populations locales dans une insécurité grandissante, tandis que les solutions de remplacement, comme les coalitions militaires ad hoc, peinent à répondre efficacement aux besoins. Ce vide sécuritaire est souvent comblé par des puissances extérieures, renforçant la dépendance des États africains à des acteurs étrangers.

Un continent pris dans une nouvelle dépendance

De nombreux régimes africains affichent une rhétorique souverainiste, rompant ostensiblement avec les anciennes puissances coloniales comme la France. Cependant, ce discours masque souvent une nouvelle dépendance envers d’autres acteurs. Les alliances avec la Russie, la Chine ou la Turquie ne font que remplacer une forme de domination par une autre, sans véritablement renforcer l’autonomie stratégique des États concernés.

Dans un monde multipolaire, les États africains tentent de diversifier leurs partenariats pour maximiser leurs opportunités. Si cette stratégie semble rationnelle, elle aboutit souvent à une multidépendance qui limite leur marge de manœuvre. Par exemple, des pays comme le Nigeria ou l’Angola jonglent entre des crédits chinois, des accords sécuritaires russes et des partenariats économiques occidentaux, rendant leur politique étrangère vulnérable aux pressions extérieures.L’expression empruntée à l’histoire coloniale illustre bien la situation actuelle. Ce « nouveau grand jeu » oppose des puissances mondiales et régionales pour le contrôle des ressources africaines, de ses marchés et de ses routes stratégiques. Si certains États africains parviennent à tirer parti de cette concurrence, la majorité reste prise au piège d’un système de dépendances croisées, renforçant leur fragilité face aux crises économiques et sécuritaires.

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