Afrique du Sud : des hélicoptères livrés en secret au maréchal Haftar, en violation de l’embargo de l’ONU

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Une affaire embarrassante secoue Pretoria. Selon le journal sud-africain City Press, plusieurs hélicoptères de fabrication française auraient été discrètement acheminés vers l’Est libyen, sous le contrôle du maréchal Khalifa Haftar — en dépit de l’embargo des Nations unies sur les livraisons d’armes à la Libye. L’enquête, fondée sur l’analyse de vols russes suspects et de documents d’exportation, révèle un réseau de transferts opaques mêlant intérêts militaires, économiques et géopolitiques.

Des hélicoptères français démilitarisés, réapparus en Libye

Au moins quatre hélicoptères Gazelle, anciens appareils militaires d’origine française, ont quitté l’Afrique du Sud ces deux derniers mois à bord d’avions de transport russes, selon les informations de City Press. Ces appareils avaient été achetés par une société sud-africaine dans leur version démilitarisée, avec une clause stricte : interdiction de les réarmer ou de les revendre à des fins militaires.

Pourtant, leurs traces mènent vers l’un des territoires les plus sensibles de la Méditerranée. Officiellement, les vols avaient pour destination la Jordanie, selon les plans de vol enregistrés. Mais quelques semaines plus tard, des images diffusées sur les réseaux sociaux par les autorités de l’Est libyen montrent ces mêmes hélicoptères, facilement reconnaissables à leur livrée beige et à leur forme caractéristique, participant à une parade militaire à Benghazi, fief du maréchal Haftar.

Les numéros d’immatriculation sud-africains visibles sur les fuselages auraient été recouverts de stickers aux couleurs du drapeau libyen. Pour les observateurs, il ne fait guère de doute que ces appareils sont les mêmes.

Des vols russes au cœur du dispositif

L’enquête du City Press évoque le rôle déterminant d’avions-cargos russes dans le transport des hélicoptères. Ces appareils auraient décollé à plusieurs reprises de bases sud-africaines avant de faire escale dans des aéroports du Moyen-Orient. Le dernier vol identifié, il y a une dizaine de jours, avait déjà suscité une polémique en Afrique du Sud, après le débarquement d’une « cargaison mystérieuse » dans le nord du pays.

Les autorités sud-africaines n’ont pour l’instant ni confirmé ni infirmé ces informations. Mais si elles se vérifiaient, elles pourraient constituer une violation de l’embargo sur les armes imposé à la Libye depuis 2011 par le Conseil de sécurité des Nations unies. Pretoria, signataire de cet embargo, serait ainsi accusée d’avoir laissé transiter du matériel militaire sensible à destination d’une faction armée non reconnue par la communauté internationale.

Haftar, un maréchal sous sanctions mais toujours influent

Depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye demeure divisée entre deux pôles de pouvoir : à l’Ouest, le gouvernement d’union nationale d’Abdelhamid Dbeibah, reconnu par les Nations unies ; à l’Est, un exécutif rival soutenu par le maréchal Khalifa Haftar. Chef autoproclamé de l’Armée nationale libyenne (ANL), Haftar contrôle la Cyrénaïque et une grande partie des ressources pétrolières du pays.

Ancien officier de Kadhafi, exilé plusieurs années aux États-Unis avant de revenir lors de la révolution de 2011, il bénéficie d’un soutien discret mais constant de plusieurs puissances régionales — notamment l’Égypte, les Émirats arabes unis et la Russie. Ces dernières années, des mercenaires du groupe Wagner ont été déployés dans ses rangs, consolidant son emprise militaire sur l’Est libyen.

La présence d’hélicoptères Gazelle, symboles d’un savoir-faire militaire occidental, dans ses forces, renforcerait encore son arsenal déjà conséquent.

Pretoria dans l’embarras

En Afrique du Sud, l’affaire fait désordre. Officiellement, le pays affiche une politique étrangère non alignée et défend le multilatéralisme au sein des instances internationales. Mais ces livraisons, si elles étaient confirmées, soulèveraient de lourdes questions sur le contrôle des exportations d’armes et sur d’éventuelles complicités au sein de l’appareil d’État.

L’opposition sud-africaine réclame des explications. Le Democratic Alliance (DA), principal parti d’opposition, a demandé à la ministre de la Défense et au président Cyril Ramaphosa de « clarifier le rôle exact des autorités dans ces exportations douteuses ». Certains observateurs redoutent que Pretoria ne soit devenue un maillon discret dans les circuits parallèles de transfert d’armement vers des zones sous embargo, profitant de zones grises réglementaires.

Le ministère du Commerce, chargé de délivrer les licences d’exportation, n’a pas réagi aux révélations de City Press.

Une affaire aux répercussions internationales

L’affaire intervient dans un contexte tendu pour la diplomatie sud-africaine, déjà critiquée pour ses liens ambigus avec la Russie depuis le début de la guerre en Ukraine. Le fait que des avions russes soient au cœur du dispositif logistique ne manquera pas de raviver les soupçons de collusion stratégique.

Sur le plan international, les Nations unies et l’Union européenne surveillent de près toute violation de l’embargo libyen. Si les faits étaient confirmés, Pretoria risquerait d’être mise en cause pour manquement à ses obligations internationales et pour avoir indirectement alimenté un conflit toujours instable.

Dans un pays en proie à la guerre civile depuis plus d’une décennie, où la rivalité entre Tripoli et Benghazi continue d’alimenter la violence, cette livraison d’hélicoptères ne serait pas une simple transaction illégale — mais un nouvel épisode d’un jeu d’influences global, où s’entrecroisent intérêts russes, ambitions régionales et failles de la régulation internationale.

L’Afrique du Sud, longtemps présentée comme une puissance diplomatique respectée et équilibrée, pourrait bien y perdre une partie de sa crédibilité.

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