Les côtes gabonaises sont longues de 800 km. Et le pays dispose de ressources halieutiques énormes. Sur la base de ces potentialités plusieurs pêches sont organisées. Mais le pays ne tire pas vraiment profit de cette richesse. La crise économique mondiale pointe. Elle est marquée par la baisse des prix du baril de pétrole. Et le Gabon est longtemps resté dépendant du pétrole comme ressource principale. C’est pourquoi il s’est lancé dans la diversification de son économie. Une meilleure gestion de ses ressources halieutiques s’avère nécessaire. L’objectif visé est la mise en place d’une chaîne de valeur ajoutée.
La quasi-totalité des acteurs intervenant dans la chaîne sont unanimes : l’heure n’est plus aux tergiversations. Pour profiter de ses énormes réserves halieutiques, le Gabon n’a d’autres choix que se doter des infrastructures susceptibles de créer de la valeur ajoutée dans sa filière halieutique.
Plusieurs types de pêches se pratiquent dans l’espace maritime gabonais. Ils varient de la pêche artisanale à la pêche industrielle en passant par la pêche sportive.
Pratiquée à petite échelle, la pêche artisanale implique essentiellement les acteurs locaux aussi bien Gabonais qu’expatriés, notamment d’origine ouest-africaine.
La pêche sportive concerne surtout des acteurs d’origine européenne à la recherche de trophées regroupés au sein de quelques clubs.
Quant à la pêche industrielle, elle est pratiquée à grande échelle par des armateurs essentiellement d’origine européenne auxquels se greffent quelques asiatiques.
Des réserves halieutiques en péril
Situées dans une zone de confluence où se croisent les poussées marines en provenance du Nord et celles du Sud, la température dans les eaux gabonaises est particulièrement propice au développement des ressources haliteutiques dans leurs diversités.
Sea Shephed Global est une organisation non gouvernementale travaillant dans la lutte contre la pêche illégale et la protection de la biodiversité marine. A en croire leur rapport établi après cinq (5) mois d’observation des activités de pêche, et au regard des quantités prélevées particulièrement en ce qui concerne l’Albacore, une espèce de thon, le Gabon a le potentiel pour faire figure de producteur majeur.
Mais, face à ce qui semble être un potentiel halieutique flatteur, les paradoxes ne manquent pas. La ressource halieutique coûte cher sur le plan local. Il faut débourser jusqu’à 3000 Fcfa pour s’offrir 1 kilogramme de poisson frais, ce qui est presque un luxe. Mais il y a aussi et surtout le fait que l’importante quantité de poissons vendus sur le marché est importée de l’extérieur. Sans aucune garantie en matière de qualité.
L’impact de la pêche thonière voire d’autres espèces, fruit de l’accord signé entre le Gabon et l’Union européenne en 1998, tarde à se faire sentir sur le marché local.
La chaîne de valeur ajoutée : une voie royale
Le moment n’est-il pas venu de maximiser la chaîne de valeur ajoutée ? Le moment n’est-il pas venu de jeter les bases d’une meilleure gouvernance? Basée notamment sur l’équité afin que le dit accord soit mutuellement profitable pour tous ?
Mais pourquoi après autant d’années d’activités de la part des armateurs européens, la pêche thonière pratiquée sur les eaux gabonaises n’a-t-elle pu générer qu’une maigre moisson pour le Gabon ?
Si les atouts n’ont pas fait défaut, reconnaissent les acteurs locaux de la chaine, les entraves ont été particulièrement rédhibitoires pour le Gabon.
C’est le temps. Oui, le temps est arrivé de voir la ressource halieutique constituer un levier de croissance susceptible d’apporter de l’eau au moulin de la diversification de l’économie vers laquelle le Gabon semble résolument tourné, déclare Mike Fay, Conseiller du Président de la République et coordonnateur du projet Gabon bleu.
Joane Guibinda Pissama, observateur gabonais de pêche industrielle et Abitsi Gaspard, Directeur du Programme Wildlife conservation society (WCS), une organisation œuvrant dans la protection de la vie sauvage, se montrent particulièrement virulents.
Haro sur les méthodes non sélectives
Ils mettre l’accent sur la nécessité de renforcer le dispositif d’observation par les experts gabonais en même temps qu’ils épinglent les méthodes.
Pour eux, le constat à dresser est amer. Telles que les choses se passent actuellement, les pratiques des armateurs de l’Union Européenne mettent en péril la durabilité de la ressource.
Ainsi l’usage des thoniers senners et d’autres dispositifs comme le dispositif de concentration de poissons (DCP) et de l’usage de morceaux de bois immergés dans l’eau pour attirer les poissons relève des méthodes artificielles non sélectives. Elles représentent une destruction massive des ressources halieutiques, soutiennent-ils mordicus.
L’heure est venue d’évoluer et de privilégier l’usage des thoniers canneurs. Equipés notamment des dispositifs d’exclusion des tortues, ils offrent la possibilité de sélectionner et prélever uniquement les espèces ciblées, propose le Directeur pays du Programme Wild life conservation society (WCS), Abitsi Gaspard. Cela minimiserait l’ampleur des rejets, ajoute-t-il.
L’information, c’est l’action
Trêve de jérémiades, pense le Directeur du Programme WCS, Abitsi Gaspard. Si l’absence d’informations précises pouvait expliquer l’inaction, les 6 marées effectuées par le panel d’observateurs gabonais entre mai et juillet 2016, permettent désormais d’avoir une information fiable. Nous disposons dorénavant de données objectives. Rien d’autre à faire, passons à l’action.
La quasi-totalité des acteurs locaux de la filière pêche ne sont pas du tout tendres. Ils poussent les mêmes cris d’orfraie. Leurs protestations sont aussi virulentes les unes que les autres.
Revue des avis et témoignages
« Pour moi, le Gabon reste l’une des grandes destinations mondiales en matière de ressources halieutiques. Et c’est le seul pays d’Afrique subsaharienne mondialement connu comme une place forte en matière de pêche sportive. Cela est aussi valable pour la pêche industrielle. De ce point de vue, les réserves halieutiques sont énormes. Et c’est plus qu’un devoir pour le Gabon de tout faire pour protéger cette richesse et l’exploiter rationnellement. Cela passe par l’existence d’une chaîne de valeur ajoutée.
C’est vraiment dommage et inexplicable que rien de structuré ne soit jusque là réalisé. Sur place la population pourrait profiter de l’abondante ressource halieutique. Si des efforts sont engagés en termes d’infrastructures, la première voire la deuxième transformation représenterait une véritable niche d’emplois. Son impact sur le tissu économique local se traduirait en levier de croissance et de diversification », pense pour sa part Damien Zissman, responsable de Fishing Gabon Club (Entreprise de pêche sportive). Pour que le Gabon tire des dividendes importants de ses ressources en poissons, la mise en place d’une chaîne de valeur ajoutée locale est une urgence, martèle-t-il.
Les navires de l’Union Européenne mis en cause…
Le directeur général du Centre d’appui des pêches artisanales de Libreville (CAPAL), Mr Yves Henri Romuald Balla, n’y va pas par le dos de la cuillère. Il est d’avis que l’on ne peut plus laisser les armateurs de l’Union européenne continuer d’écumer nos eaux dans l’indifférence. Du moment que l’on sait maintenant quelles quantités de poissons sont réellement prélevées, il est temps de revoir les accords, avance-t-il.
De plus, il insiste à son tour sur la nécessité de mettre en place un tissu industriel et une chaîne de transformation locale pour permettre le débarquement d’au moins 10% de poissons pêchés par les armateurs de l’Union européenne conformément aux accords prescrits. « Le Gabon aujourd’hui manque de capacités techniques: l’usine censée réceptionner les poissons débarqués ne fonctionne pas. Enfin, il y a également l’absence d’un quai de pointe. Même la possibilité d’absorber les déchets par la fabrication de la farine de poissons ne peut se réaliser. Parfois, les textes et la réglementation de nature à réguler l’activité ne sont pas assez tranchants, c’est notamment le cas en ce qui concerne par exemple le commerce des requins et leurs ailerons », épingle-t-il.
Le Gabon doit totalement bénéficier de ses ressources halieutiques!
Alain, un pratiquant gabonais de la pêche artisanale ne manque pas de griefs. Pour lui, c’est grâce à leur activité que les poissons arrivent dans les assiettes des librevillois. Malheureusement, rien n’est fait pour leur faciliter la tâche. Trop de contrôles de la part des policiers et parfois de la part des agents des parcs nationaux. Mais comment compenser la pénurie des poissons comme les armateurs européens ne débarquent rien des quantités qu’ils capturent ? Faut-il alors s’étonner se plaindre de la cherté de cette denrée, s’insurge-t-il.
Ainsi, face à la flambée du prix de poisson et au vu de ce qui est relaté, les gabonais se disent choqués. C’est le cas d’une dame que nous avons rencontrée à Nombakélé, dans le troisième arrondissement de Libreville.
Le deuxième intervenant s’est montré sans réserve. Pour lui, l’Union Européenne doit être animée de bonne foi. Il estime que les africains ont beaucoup souffert, et il est hors de question de continuer à les traiter comme des sous hommes.
Le moment est donc venu de sortir de ce cercle vicieux. Le Gabon doit totalement bénéficier de ses ressources. Il est donc temps d’établir des partenariats gagnant-gagnants pour la réussite du Gabon bleu.