Pour reprendre l’Hebdomadaire international indépendant Jeune Afrique, la magistrate, dont les sorties médiatiques sont rarissimes, n’est pas dupe : la réconciliation du pays risque de s’effectuer sur son dos. Mais, brave comme elle l’est à l’instar de Sisyphe, le héros absurde d’Albert Camus, elle n’hésite pas à montrer la direction à suivre pour préserver le vivre ensemble.
Au moment où intervient la fin des travaux du dialogue national initié par le chef de l’Etat, Ali Bongo Ondimba, le discours livré par Marie Madeleine Mborantsuo, présidente de la Cour constitutionnelle du Gabon, devant les co-présidents du Bureau du dialogue national, lors de la cérémonie d’ouverture de ces assises le 10 avril 2017, complété par sa récente interview parue dans l’Hebdomadaire international indépendant Jeune Afrique n° 2941 du 21 mai dernier cachent mal le dépit de celle qui, depuis 26 ans qu’elle existe, préside la Haute juridiction gabonaise.
Sauf à porter des œillères, tout porte à croire que ces deux sorties auront permis à celle qui se considère comme « Marie Madeleine du Gabon, dans la lignée de la pécheresse de la Bible sur laquelle on jetait des pierres, il y a deux mille ans » de livrer des propos (prémonitoires ?) qui peuvent révéler avec le temps leur forte charge testamentaire.
Seuls l’esprit et le mental sont source de progrès chez les hommes
S’agirait-il d’un concours de circonstances qui relèverait du pur hasard ? Rien n’est moins sûr. Partant de la conclusion de son discours du 10 avril dernier devant le bureau du dialogue national couplée à ses propos repris dans l’interview de Jeune Afrique n° 2941, voici en quoi peuvent se résumer les principales articulations des pensées enfouies dans les tréfonds de Madame, le président de la Cour Constitutionnelle du Gabon.
Rejoignant les anciens penseurs, Marie Madeleine partage avec eux que c’est l’esprit, le mental qui dirigent le monde et permet aux sociétés humaines d’évoluer.
« Les réformes que vous aurez à opérer sur l’ensemble de nos institutions vont indubitablement se révéler positives. Mais elles contribueront véritablement à la consolidation de l’Etat de droit démocratique dans notre pays que s’il s’opère une réelle « réforme des esprits et des mentalités », si nous nous accordons tous, dans un mouvement commun, pour faire vivre dans notre dispositif institutionnel les grands principes qui ont habité le constituant en 1990 » a-t-elle soutenu en épilogue devant les co-présidents du bureau du dialogue national.
Les acteurs majeurs de la transparence électorale, livre-t-elle avec force, se situent en amont de la Cour constitutionnelle.
Dans le cadre du contrôle de la régularité des élections, domaine dans lequel la Cour Constitutionnelle est mise au devant de la scène et fait l’objet des critiques acerbes, des a priori et des fantasmes les plus incroyables, des clichés, des condamnations hâtives et péremptoires, Marie Madeleine martèle et met en relief « la responsabilité et l’apport de chaque Gabonais, à quelque niveau de l’échelle sociale qu’il se trouve, dans le processus de désignation des représentants du peuple ».
Devant la Haute Cour, il n’y a pas place au droit divin
De ce point de vue, rappelle la Haute magistrate, c’est le ministère de l’Intérieur qui est chargé d’établir la liste électorale à partir des données collectées par les commissions administratives d’enrôlement mises en place aux différentes échelles que sont la province, le département, le district ainsi qu’au niveau des missions diplomatiques.
Lesquelles sont composées des représentants des partis politiques de la Majorité et ceux de l’opposition, désignés à parité.
En ce qui concerne l’organisation proprement dite du scrutin, de l’examen et la validation des candidatures aux différentes élections, l’impression des bulletins de vote des candidats et des formulaires des procès-verbaux, le recensement et la répartition du matériel électoral, la mise en place des commissions électorales locales et consulaires (en cas d’élection présidentielle), ainsi que la centralisation des résultats qui en sont issus au niveau national, c’est la Commission Electorale Nationale Autonome et Permanente (Cenap), une fois de plus composée par les représentants des partis politiques de la Majorité et ceux de l’opposition, désignés à parité, qui est à la baguette et qui les fait annoncer en définitive par le ministre de l’Intérieur.
La Cour Constitutionnelle n’intervient nullement dans aucune de ces phases autant qu’elle ne fait pas d’élection, ne choisit ni n’intronise aucun candidat. Son rôle se cantonne à dire le droit et tirer les conséquences de sa violation en matière électorale.
Par conséquent, elle ne saurait être considérée comme responsable de tous les dysfonctionnements, des irrégularités, des retards et autres manquements qui pourraient avoir à survenir.
De gardienne du temple au bouc-émissaire
Visiblement remontée et dégoûtée, Marie Madeleine ne manque pas de faire observer que « Cela devient plus problématique que, in fine, cette responsabilité est transférée sur la seule personne du Président de la Cour Constitutionnelle qui serait investi d’un pouvoir divin, celui de faire et défaire l’élection. Il y a là une situation manifestement injuste qui s’avère attentatoire à nos institutions ».
Face aux critiques portées contre sa personne « Tout d’abord, je ne suis pas la seule décisionnaire au sein de la Cour, et je n’impose rien aux huit autres membres », proteste-t-elle.
La Présidente de la Haute Cour pointe du doigt dans son interview « l’irresponsabilité des acteurs politiques qui font des amalgames et se présentent devant la Cour sans avoir constitué préalablement de dossier sérieux et classant des pièces requises… »
Son éclairage est sans équivoque. Morceaux choisis : « Lorsqu’il reçoit le dossier visant à invalider son élection, l’adversaire du requérant cherche la faille et, très souvent, il la trouve dans la procédure. Il en profite donc pour soulever l’irrecevabilité de la requête, ce dont les juges sont obligés de tenir compte ».
En droit, avant de s’attaquer au fond, rien de ce qui relève de la forme ne doit souffrir d’aucune faille. Tout vice de forme ou de procédure se paie cash et ne laisse rien du fond prospérer. Clair comme l’eau de roche.
Aucune question n’a été éludée
Sur la question des ennuis qu’elle aurait avec la justice française, elle ne tergiverse pas : « On ne m’a jamais notifié une accusation me concernant ». Des banques françaises, dont le Crédit lyonnais, dans lesquelles elle avait des comptes lui ont adressé un courrier l’informant de leur intention de les clôturer. Ils m’ont mise dans la catégorie des personnalités politiques exposées et m’ont demandé de leur communiquer un compte sur lequel transférer mes avoirs. Grâce à l’aide d’une amie qui travaillait dans une banque monégasque, j’ai pu en ouvrir un nouveau à Monaco et y transférer mes économies », précise-t-elle.
Résignée ?
Pour Marie Madeleine Mborantsuo, face aux excès ou à quelques errements des uns et des autres et pour éviter l’effondrement du système, la Constitution doit rester « la digue » qui ne doit jamais céder sous la menace de l’arbitraire ou du désordre.
Si Marie Madeleine ne cache pas sa satisfaction sur les actions significatives de l’Institution qu’elle dirige au plan national ainsi que de son rayonnement au plan extérieur qui force l’admiration, elle n’occulte pas certains dysfonctionnements et surtout nombre d’écueils sur lesquels, pense-t-elle, les efforts doivent être orientés pour voir le Gabon irrémédiablement évoluer vers sa félicité.
Le chemin royal vers la félicité
Au-delà d’obstacles majeurs que tous les observateurs avertis présents au dialogue peuvent avoir eu à déceler et pour lesquels certainement des pistes de solutions ont été levées, Madame le Président de la Haute Cour nourrie à la pratique en a épinglé d’autres (et pas des moindres) qui ralentissent la construction de notre jeune démocratie dans son discours à l’ouverture du dialogue d’Agondjé au nombre desquels figurent en bonne place « l’incinération des bulletins de vote aussitôt après le scrutin qui empêche le juge de l’élection de procéder à un certain nombre de vérifications lors du contentieux électoral ; la négligence des scrutateurs dans la tenue des listes des émargements, les procès-verbaux des opérations de vote, les feuilles de dépouillement et celles dans lesquelles doivent être consignées les observations ; le refus des principaux acteurs politiques et des candidats de s’imprégner des dispositions législatives et réglementaires qui régissent l’élection, se contentant d’appliquer leur vue de l’esprit ; la démission des acteurs politiques à leur devoir de formation et d’encadrement de leurs représentants dans les commissions administratives d’enrôlement et dans les commissions électorales, de leurs scrutateurs et de leurs représentants dans les bureaux de vote ; le retrait, au dernier moment, des candidatures alors que toutes les dispositions pour permettre à ces derniers de prendre part à l’élection ont déjà été prises, à l’instar de l’impression des bulletins de vote.
Savoir mettre le doigt là où il faut
Viennent compléter ce tableau d’écueils qui ralentissent les avancées de notre jeune démocratie l’absence criarde des représentants des candidats dans les bureaux de vote, rendant inefficace la mesure qui oblige le président du bureau de vote à remettre un exemplaire du procès-verbal à ces derniers ; l’absence de prise de conscience des citoyens du rôle important qui est le leur de garantir la fiabilité des listes électorales par les contrôles qu’ils doivent exercer dès l’affichage de celle-ci en vue de dénoncer toutes les irrégularités que lesdites listes pourraient comporter ainsi que l’inexistence des monographies ou leur non tenue régulière par les autorités administratives locales et l’absence d’organisation du recensement administratif annuel, toutes choses qui privent les agents recenseurs intervenant dans le cadre du recensement général de la population, qui a lieu tous les dix ans, d’outils importants de vérification et de comparaison des données.
Certes, elle n’apprécie guère d’être devenue le bouc émissaire de la crise électorale sur le dos duquel risque de s’effectuer la réconciliation du pays. Marie Madeleine Mborantsuo du Gabon de la lignée de la pécheresse de la Bible sur qui l’on jetait (et l’on continue de jeter) des pierres, persuadée de ce que la lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme, à l’instar de Sisyphe, n’a pas hésité dès les premières heures du dialogue politique d’Agondjé de fixer le cap en indiquant la direction à suivre si tant qu’il est vrai que c’est le Gabon qui doit sortir vainqueur.
La réconciliation du pays, pense-t-elle au plus profond d’elle devrait se réaliser sur une révolution des mentalités et non pas au prix du sacrifice des personnes comme elle dont le seul pêché aura été de s’ériger contre vents et marées en digue dans la consolidation de l’Etat au Gabon.