L’histoire est parfois cruelle dans sa répétition. Deux peuples, deux terres, deux systèmes d’oppression, et pourtant un seul mot pour les définir : apartheid.
Ce qui a été combattu et condamné en Afrique du Sud hier est toléré, voire justifié, en Palestine aujourd’hui. La lutte des Palestiniens contre l’occupation israélienne est, dans ses fondements et dans ses méthodes de répression, une réplique presque exacte de la bataille que les Sud-Africains noirs ont menée contre le régime ségrégationniste blanc.
Mais si le monde s’est uni pour renverser le régime d’apartheid en Afrique du Sud, Israël bénéficie d’une protection politique, économique et militaire qui lui permet de perpétuer son système de discrimination et d’occupation sans crainte de représailles.
Une oppression systématique basée sur la séparation et l’exclusion
L’apartheid sud-africain reposait sur un principe fondamental : séparer les populations en fonction de leur origine raciale et assurer la domination d’une minorité sur une majorité. Ce principe se traduisait par des lois interdisant aux Noirs d’accéder aux espaces réservés aux Blancs, par des restrictions de déplacement, par un système juridique à double standard et par la création de bantoustans, ces territoires où les populations noires étaient confinées sans droits politiques ou économiques réels.
Ce que les Palestiniens vivent aujourd’hui reproduit exactement cette dynamique.
• En Cisjordanie, un système de routes réservées aux colons juifs empêche les Palestiniens de circuler librement, les forçant à utiliser des chemins détournés et interminables.
• Un mur de séparation coupe la Cisjordanie en enclaves isolées, empêchant toute continuité territoriale et rendant impossible le développement économique.
• À Gaza, un blocus total enferme plus de deux millions de personnes dans une prison à ciel ouvert, sans accès libre aux biens essentiels ni possibilité de quitter le territoire.
• Israël impose un régime juridique distinct : les colons juifs vivent sous la loi civile israélienne, tandis que les Palestiniens sont soumis à la loi militaire.
Tout comme l’Afrique du Sud avait instauré des espaces où les Noirs n’avaient aucun droit, Israël applique une politique qui vise à fragmenter la Palestine en entités séparées et à empêcher l’émergence d’un État palestinien viable.
Ce n’est pas une exagération. Ce n’est pas une opinion. C’est une réalité reconnue par des organisations majeures comme Human Rights Watch, Amnesty International, et même les Nations unies.
En 2022, Amnesty International a officiellement qualifié Israël d’État pratiquant l’apartheid, dénonçant un système de domination raciale à l’égard des Palestiniens. Mais alors que le monde a fait tomber le régime d’apartheid sud-africain grâce à la pression internationale, Israël continue de bénéficier d’un soutien inébranlable des puissances occidentales.
Deux résistances, une même quête de liberté
La lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud n’a pas commencé avec les armes. L’ANC (African National Congress) de Nelson Mandela a d’abord privilégié la résistance pacifique, organisant des manifestations, des grèves et des campagnes de désobéissance civile.
Mais la réponse du régime fut brutale : arrestations, assassinats, massacres de civils. En 1960, le massacre de Sharpeville a marqué un tournant : 69 manifestants pacifiques tués par la police. Face à cette violence d’État, l’ANC a décidé d’opter pour la lutte armée, créant la branche militaire Umkhonto we Sizwe (Lance de la Nation).
Mandela, aujourd’hui célébré comme un héros de la paix, fut alors déclaré terroriste et condamné à la prison à vie.
Le parallèle avec la Palestine est évident.
• Les Palestiniens ont aussi commencé par la lutte pacifique, avec des grèves et des manifestations contre l’occupation israélienne.
• Israël a réagi par une répression impitoyable : assassinats ciblés, démolitions de maisons, arrestations massives, bombardements de zones civiles.
• Les massacres de Sabra et Chatila en 1982, de Gaza en 2014 et de la Grande Marche du Retour en 2018 rappellent tragiquement ceux de Sharpeville et Soweto en Afrique du Sud.
Dans ce contexte, l’émergence de groupes armés palestiniens comme le Fatah, le Hamas ou le Jihad islamique est une réponse à une oppression systématique, exactement comme l’ANC avait choisi la lutte armée après l’échec des méthodes pacifiques.
Mais là où Mandela a fini par être réhabilité, où l’ANC est devenu un gouvernement légitime, les Palestiniens qui résistent sont encore aujourd’hui qualifiés de terroristes.
L’illusion d’une communauté internationale impartiale
Si l’Afrique du Sud a pu se libérer de l’apartheid, c’est en grande partie grâce à une mobilisation internationale sans précédent.
Dans les années 1980, les États-Unis, l’Europe et l’ONU ont imposé des sanctions économiques massives contre Pretoria. Des entreprises ont cessé d’investir, des artistes ont refusé de se produire en Afrique du Sud, des gouvernements ont boycotté les institutions sud-africaines.
Cette pression a fini par faire plier le régime et a conduit aux premières élections démocratiques de 1994.
Pourquoi ce qui a été possible contre l’Afrique du Sud est-il impossible contre Israël ?
Le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) a été lancé en 2005 pour suivre le même modèle que celui qui a affaibli l’apartheid sud-africain. Il appelle à un boycott des entreprises et institutions complices de l’occupation israélienne, à des sanctions économiques et à des pressions diplomatiques.
Mais contrairement au boycott sud-africain, le BDS est combattu par les grandes puissances.
• Les États-Unis ont adopté des lois interdisant le boycott d’Israël.
• L’Union européenne hésite à sanctionner les colonies israéliennes illégales.
• Toute critique d’Israël est systématiquement assimilée à de l’antisémitisme, étouffant tout débat politique.
Comment justifier cette hypocrisie ? Pourquoi le monde qui a combattu l’apartheid sud-africain protège-t-il aujourd’hui son équivalent en Palestine ?
Un avenir encore incertain, mais un combat qui se poursuit
L’Afrique du Sud a mis plus de quarante ans à se débarrasser de l’apartheid. La Palestine est sous occupation depuis plus de 75 ans. La différence ? L’Afrique du Sud a bénéficié d’un mouvement international massif, alors que la Palestine se bat contre une indifférence organisée.
Mais l’histoire n’est pas figée.
Les Palestiniens ne renonceront pas à leur combat, comme les Sud-Africains n’ont jamais renoncé au leur. Le système israélien ne pourra pas survivre éternellement à la pression du droit international, aux critiques croissantes des mouvements citoyens et à la démographie qui, inexorablement, joue en faveur des Palestiniens.
Le monde a fini par comprendre que Mandela n’était pas un terroriste mais un combattant de la liberté. Peut-être faudra-t-il encore des années, voire des décennies, pour que l’histoire rende justice aux Palestiniens.
Mais une chose est sûre : les régimes d’apartheid finissent toujours par tomber. La question est de savoir combien de temps encore la Palestine devra attendre son 1994.
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