Avec une croissance annuelle de 28 %, le secteur africain de la création de contenu pourrait atteindre 30 milliards de dollars d’ici 2032.
Une révolution numérique portée par la jeunesse
L’Afrique est souvent présentée comme le continent de l’avenir, et dans le domaine numérique, cette affirmation prend tout son sens. En 2025, elle représente plus de 17 % des internautes mondiaux, un chiffre appelé à croître rapidement. La pénétration d’Internet, encore incomplète, progresse à grande vitesse grâce à l’essor des réseaux mobiles et à la démocratisation du smartphone, devenu l’outil principal de connexion. Cette transformation n’est pas seulement technologique, elle est aussi culturelle : elle offre aux jeunes générations un accès inédit à l’information, aux opportunités économiques et aux espaces d’expression.
Avec plus de 60 % de la population âgée de moins de 25 ans, l’Afrique possède une réserve démographique unique. Or, ces jeunes ne se contentent pas de consommer du contenu : ils le produisent. Sur TikTok, YouTube ou Instagram, des millions d’Africains publient chaque jour des vidéos, des tutoriels, des sketchs, ou encore des productions musicales. La pandémie de COVID-19 a accéléré ce basculement, les confinements ayant servi de catalyseur à des carrières numériques. Cette génération, à la fois connectée et créative, redessine les contours de l’économie informelle et transforme la culture locale en capital exportable.
Le marché des créateurs africains de contenu, évalué à 5,1 milliards de dollars en mars 2025, pourrait atteindre près de 30 milliards d’ici 2032. Ce taux de croissance de 28,7 % par an est exceptionnel à l’échelle mondiale. Derrière ces chiffres se cache une dynamique profonde : l’émergence d’un secteur professionnel qui ne relève plus seulement du loisir ou du divertissement, mais d’une véritable industrie culturelle et économique. La création de contenu devient un vecteur d’emploi et de revenus, mais aussi un instrument d’influence pour les États africains, conscients du potentiel diplomatique et identitaire que recèle ce nouvel écosystème.
Les défis quotidiens des créateurs africains
Contrairement aux influenceurs occidentaux, les créateurs africains doivent souvent endosser tous les rôles à la fois : cameraman, monteur, community manager, stratège SEO. Faute d’équipes ou de structures de soutien, ils apprennent seuls, par expérimentation, à maîtriser des compétences multiples. Cette polyvalence, si elle témoigne d’une grande ingéniosité, constitue un frein à la professionnalisation. Elle limite leur capacité à produire du contenu de qualité régulière et les place en concurrence inégale avec les créateurs des pays du Nord, mieux dotés en infrastructures et en réseaux d’accompagnement.
La monétisation du contenu reste un point noir. Selon les études, 54 % des créateurs africains perçoivent moins de 62 dollars par mois de leurs activités numériques, un revenu insuffisant pour en vivre. Le CPM appliqué en Afrique est bien inférieur à celui de l’Europe ou des États-Unis, ce qui réduit la rentabilité des vidéos et publications. La majorité des créateurs comptent donc sur les partenariats avec des marques locales ou des sponsors, mais ces opportunités demeurent rares et inégalement réparties. Seule une petite élite, comme le YouTubeur ghanéen Kwadwo Sheldon, parvient à générer des revenus significatifs, estimés à près de 10 000 dollars mensuels.
L’écosystème africain repose très largement sur des plateformes étrangères : Meta (Facebook, Instagram), Google (YouTube), ByteDance (TikTok). Ces entreprises fixent les règles du jeu et captent une part importante des revenus générés. Si des alternatives locales comme Boomplay ou Mdundo émergent, elles restent marginales face à la domination des géants mondiaux. Cette dépendance technologique et économique interroge : l’Afrique peut-elle réellement bâtir un marché souverain de la création de contenu, ou restera-t-elle dépendante de modèles imposés de l’extérieur ?
Vers un écosystème entrepreneurial et innovant
La nouvelle génération d’influenceurs africains ne se contente pas de divertir. Nombre d’entre eux franchissent le pas vers l’entrepreneuriat, capitalisant sur leur notoriété pour lancer des startups, des agences de communication ou des marques de vêtements. Crazy Kennar au Kenya a ouvert sa société de production et une académie numérique. Aproko Doctor au Nigeria utilise sa visibilité pour promouvoir la santé publique et développer des services de télémédecine. Ces trajectoires montrent que la création de contenu peut devenir un tremplin vers l’innovation et l’indépendance économique.
Au-delà de l’économie, les créateurs africains portent un enjeu culturel majeur. Ils exportent une image du continent qui échappe aux clichés traditionnels. En montrant leur quotidien, leurs cultures, leurs luttes et leurs réussites, ils contribuent à redéfinir l’Afrique aux yeux du monde. Leurs vidéos circulent au-delà des frontières et créent une identité numérique africaine, plurielle, inventive et assumée. L’influence culturelle devient ainsi un élément de soft power, capable de transformer les perceptions internationales.
Si l’avenir paraît prometteur, les fragilités restent nombreuses. Le marché est exposé aux changements d’algorithmes décidés par les plateformes, qui peuvent ruiner en quelques jours la visibilité d’un créateur. Les législations sur la régulation numérique, encore balbutiantes, ajoutent de l’incertitude. Mais la combinaison d’une démographie jeune, d’un appétit insatiable pour la technologie et d’une créativité sans limites fait des créateurs africains un moteur incontournable de la croissance future.
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