Gabon: BrainForest, ONG ou parti politique?

Marc Ona Essangui
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BrainForest, ONG ou parti politique ? C’est tout le moins la question qui taraude la société civile gabonaise, à travers ses différentes entités et organisations.

La notion de Société civile remonte à Aristote. Elle est reprise au cours du siècle des Lumières (au 17ème et 18ème siècle) à travers John Locke et Charles Montesquieu. Les difficultés à fixer les contours apparaissent certes, mais du moins mettent-ils déjà en évidence à leur époque la coexistence de deux sphères à différencier : celle de la politique d’une part et celle de la société citoyenne (assimilable à la Société civile d’autre part).

Notion devenue omniprésente à notre temps, le retour de la société civile est historiquement lié aux mouvements de dissidents de l’Europe de l’Est dès la fin des années 70.

Vaclav Havel dans son ouvrage « Le pouvoir des sans-pouvoir » exalte le réveil de la société civile : dans les sociétés post totalitaires nées de l’effondrement du communisme.

Il faudra, dit-il, que surgissent de nouvelles structures, des associations civiques et citoyennes qui favoriseront la transition démocratique.

Dans un contexte de méfiance à l’égard de l’État et des grandes idéologies globalisantes, beaucoup d’Occidentaux placent de grands espoirs dans ces associations volontaires, vouées à la résolution de problèmes concrets, censées renforcer le lien social et, par la délibération dans l’espace public, concrétiser un engagement en faveur des valeurs acceptées ou souhaitées par tous.

Ce détour historique étant, quelle serait la définition la plus acceptable que l’on pourrait retenir de la Société civile ? Bien qu’entachée de beaucoup d’ambigüités, la société civile peut être considérée comme étant « le domaine de la vie sociale civile organisée qui est volontaire, largement autosuffisant et autonome de l’État ».

Dans la pratique, la catégorie « société civile » regroupe un ensemble d’organisations entretenant plusieurs formes de rapports avec leurs membres mais aussi avec l’espace public, les autres associations, les médias… et, bien entendu l’Etat et la classe politique.

Think tanks, lobbies, ONG, groupes d’intérêts et associations professionnelles, parties prenantes de l’entreprise, répondent à cette définition.

Si l’on admet qu’une élection est un des événements principaux où la société civile se trouve mobilisée, « notamment à travers l’éducation de l’électorat », il n’en demeure pas moins que depuis le siècle des Lumières, le risque d’éviter tout amalgame est déjà mis en évidence: « C’est le corps social, par opposition à la classe politique », indique-t-on.

Bien que difficile à cerner de manière tranchée, on peut considérer la Société civile comme un domaine au sein de la société qui se situe entre les sphères étatique, économique et privée. A ce titre, on peut dire qu’il existe plusieurs sociétés civiles selon les intérêts communs que l’on peut avoir à défendre.

Le concept de société civile sert d’appel politique en visant plus de démocratie. A ce titre, l’on admet la corrélation existant entre société civile et démocratisation de la société.

Son rôle dans le processus de développement et dans le contexte de la bonne gouvernance n’est pas à oublier. Il est reconnu aux acteurs de la société civile d’être impliqués dans la politique sans pour autant viser des fonctions étatiques, « encore moins faire ou poser des actes en lieu et place des acteurs politiques »: l’orthodoxie en la matière leur recommande de garder une position indépendante.

La Société civile : reste un corps politique qui ne fait pas de politique

Dans les vertus qu’on prête à la Société civile, on lui reconnait d’être un contre-pouvoir susceptible de contrôler les excès du pouvoir. Elle est diverse et représentative, contrairement aux gouvernants et élus qui tendent à se recruter dans les mêmes milieux et à partager la même vision.

Elle (la Société civile) permet l’émergence de nouvelles élites-et ceci vaut particulièrement dans les pays en voie de développement-. Surveiller et dénoncer les dérives autoritaires, les scandales, les risques écologiques ou autres ainsi qu’apaiser le débat et inciter les citoyens à participer à la vie publique, leur rendre confiance dans la démocratie est également de son ressort.

De ce point de vue, voir par exemple Marc Ona Essangui, le responsable de BrainForest Gabon, sensibiliser les populations d’un quartier pour qu’elles exercent des pressions sur le gouvernement afin d’arrêter un projet susceptible d’altérer leur environnement de vie est un acte propre à la Société civile.

Appeler à une bonne gouvernance dans la gestion de la « Res publica » ou l’alternance politique est aussi du domaine de la Société civile.

A l’inverse, comme un thuriféraire, s’exhiber sur un plateau de Télévision et débiter les sornettes d’avoir constitué une armée avec un général pour se lancer à l’assaut du pouvoir avant d’en partager le gâteau, faire insulte au candidat à l’élection présidentielle Raymond Ndong Sima en le traitant de ne pas avoir un poids comme si c’est lui qui en détenait l’aune, déclarer ne pas avoir besoin de lui dans les rangs de l’opposition- dont lui-même Marc Ona n’est pas membre- représentent des dérives aux antipodes de ce que l’on est en droit d’attendre d’un acteur de la Société civile ou d’une autre instance du genre d’une Organisation non gouvernementale.

Brainforest : Bienvenue dans l’arène politique ?

Et là encore, Brainsforest, ONG ou parti politique ? Serait classée ONG, une organisation qui a une certaine assise internationale et une certaine importance et qui répond à quelques critères plus précis comme sa constitution sur initiative privée et volontaire, être à vocation non lucrative et politiquement indépendante en plus de rechercher un intérêt public en ce sens altruiste.

Les ONG sont par excellence productrices d’influence : elles cherchent la réalisation concrète d’une valeur qu’elles défendent, qu’il s’agisse des droits de l’homme en général, de la protection d’une espèce animale, de la lutte contre un péril précis ou de l’apaisement dans les débats …

Souvent l’ONG se réfère à la notion d’urgence : une catastrophe, un scandale, une population ou une espèce en danger, une atteinte aux droits de l’homme…. Et qui justifie que des citoyens interviennent, que ce soit pour transporter un dispensaire sur place ou pour interpeller un gouvernement corrompu ou criminel.

Les ONG ne demandent pas à exercer un pouvoir direct de commandement (contrairement aux partis qui cherchent à conquérir l’État, par exemple), ni un pouvoir économique : elles ne peuvent obtenir de résultats concrets – car elles visent à des changements effectifs et non à la diffusion d’une philosophie – qu’en agissant sur la volonté d’autrui.

Cet autrui, ce peut être le public en général que les ONG convainquent de militer, de soutenir une revendication, de s’indigner de telle ou telle action d’un gouvernement, d’une organisation, d’une entreprise.

En outre, les ONG agissent de plus en plus sur les détenteurs du pouvoir. Elles exercent une véritable emprise sur eux, notamment à travers les médias. Ayant la capacité de juger leurs actes ou de leur inspirer leurs fins, elles mènent une stratégie indirecte où se mêle pression morale, séduction, négociation… mais aussi proposition et inspiration.

Aussi, il arrive même que les ONG soient à l’origine de grandes règles appliquées par les autorités institutionnelles (comme le principe de précaution, le droit d’ingérence ou le développement durable). Parfois elles sont à l’origine des institutions elles-mêmes, comme le Tribunal Pénal International, aujourd’hui la Cour pénale internationale (CPI).

Il ne faut pas non plus occulter leur capacité d’intervention directe dans les affaires politiques, « en particulier lors des grands sauvetages humanitaires ». Non seulement les ONG manifestent très matériellement leur volonté de mettre en œuvre les valeurs dont elles se réclament (elles construisent des hôpitaux, sauvent des vies, distribuent de la nourriture), mais elles concurrencent les institutions qu’elles critiquent par ailleurs.

Ce message est d’autant mieux relayé par les médias qu’il est à la fois spectaculaire (on voit le Bien en action) et moral (soutenir les ONG, c’est choisir le camp du Bien, sans risque de devoir soutenir un pouvoir et donc sans avoir à se compromettre avec une forme quelconque de puissance ou de contrainte). Règle centrale et fondamentale dans le bréviaire d’une ONG.

Mais alors, voir ainsi- et de façon ostentatoire- Marc Ona Essangui bien inféodé aux hommes politiques et présent lors de toutes les sorties publiques-notamment des partis d’opposition- participe-t-il de l’exercice des vertus citoyennes que l’on en droit d’attendre d’une Organisation non gouvernementale, membre par excellence de la Société civile ?

Ceci étant et de ce point de vue, nous laissons à chacun le soin et le libre arbitre d’apprécier si de par les activités qu’il a eues à produire ces derniers temps et même bien avant, Marc Ona Essangui respecterait-t-il les limites et les frontières propres à l’objet au nom duquel il détient un récépissé.

Si tel n’est pas le cas, serait-il logique de pousser des cris d’orfraie si d’aventure son ONG était frappée d’interdiction à fonctionner en République gabonaise ?

Seul l’avenir nous éclairera.

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Prosper Akouegnon
Prosper possède 15 ans d'expérience dans le journalisme. Il a précedemment travaillé pour le journal le Républicain et Le Scorpion Akéklé à Lomé. Devant la montée en force de la presse en ligne et la chute des presses traditionnelles, il décide de monter le site d'information en ligne AfricTelegraph en 2015 et s'installe au Gabon.

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