La Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples (CADHP), qui entame aujourd’hui sa 59ème session ordinaire, doit s’engager d’urgence en faveur de la justice pour les victimes de crimes internationaux commis en Afrique, alors que le Burundi vient de décider son retrait du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) et que l’Afrique du Sud entame une procédure similaire, a déclaré la FIDH.
« Les populations civiles africaines du Burundi, du Soudan du Sud, ou encore du Soudan, continuent d’endurer les pires atrocités. Face à eux, les responsables des crimes tentent d’organiser leur impunité pour ne jamais être inquiétés pour leurs forfaits. La Commission africaine doit se faire le porte-voix des victimes en s’engageant résolument en faveur de la justice, au risque que cette « année africaine des droits de l’Homme » ne soit considérée comme un véritable échec », a déclaré Dimitris Christopoulos, Président de la FIDH.
« Le retrait du Burundi de la CPI et la procédure similaire que vient d’entamer l’Afrique du Sud sont de très mauvais signaux envoyés aux millions de personnes pour lesquelles la justice constitue un moyen d’endiguer la violence et la répétition des crimes dont elles sont victimes. La Commission africaine ne peut rester silencieuse, en particulier en cette année historique », a déclaré Mabassa Fall, Représentant de la FIDH auprès de l’Union africaine.
Au Burundi, les civils demeurent à la merci d’un État engagé dans une répression sanglante, et dont les agents et leurs supplétifs commettent impunément meurtres, actes de torture, disparitions forcées, viols et autres formes de violences sexuelles, arrestations et détentions arbitraires, sur fond de dynamiques génocidaires. Les autorités continuent de prendre des mesures politiques, législatives et judiciaires pour prévenir toute enquête indépendante et impartiale sur ces crimes graves et ainsi s’abstraire de toute responsabilité. Outre le retrait du pays du Statut de Rome de la CPI elles ont déclaré des experts des Nations unies et de l’Union africaine persona non grata ; continuent d’entraver l’action des observateurs des droits humains de l’UA ; et poursuivent une politique répressive à l’endroit des défenseurs des droits humains.
« La Commission africaine, qui a documenté les violations graves des droits humains commises au Burundi, et dont l’une des représentantes a participé à l’enquête conduite par les Nations unies, détient aujourd’hui des informations de première main concernant la gravité et l’ampleur des crimes commis dans ce pays. Elle ne peut rester inactive et inaudible quand il est aussi évident que les autorités cherchent à perpétuer leur logique répressive impunément. Il en va de sa crédibilité », a déclaré Sheila Muwanga Nabachwa, Vice Présidente de la FIDH.
La Commission africaine doit également s’engager en faveur de la justice dans des situations pour lesquelles la CPI n’a pas de compétence, comme au Soudan du Sud. Les récents développements indiquent qu’il y a aujourd’hui un risque sérieux que les parties optent de nouveau pour une issue militaire plutôt que politique à leurs antagonismes, menaçant de replonger le Soudan du Sud dans un conflit armé généralisé. Les affrontements survenus à Juba en juillet 2016 ont donné lieu aux pire crimes y inclus des meurtres, des centaines de viols et actes de violences sexuelles, des pillages et destructions de biens. Fuyant ou craignant la violence, les civils continuent de rejoindre les pays frontaliers où ils sont désormais plus d’un million.
« Plus de 50 ans de crimes restés impunis au Soudan du Sud ont laissé des populations civiles meurtries et constitué un terreau fertile aux atrocités dont elles sont aujourd’hui les cibles », a déclaré Arnold Tsunga, Vice Président de la FIDH. Pour Me. Tsunga, alors que l’UA a conclu que des crimes de guerre et crimes contre l’humanité ont été commis au Soudan du Sud et qu’elle s’est engagée à l’accompagner dans la mise en place d’une Cour hybride pour en juger les responsables « la Commission africaine doit publiquement s’engager en faveur de la mise en place rapide et effective d’une telle Cour ».
La CADHP doit également soutenir la lutte contre l’impunité dans les pays engagés dans des processus de sortie de crise comme en République centrafricaine et sa Cour pénale spéciale. C’est également le cas en Côte d’ivoire qui présente son rapport périodique à cette session et où le procès de Simone Gbagbo qui vient de reprendre à Abidjan démontre que, 5 ans après la crise post-électorale, la justice ivoirienne n’a toujours pas démontrée qu’elle avait pu mettre en place une autre justice que celle des vainqueurs. Les procédures judiciaires contre les pro-gbagbo demeurent toujours faibles, tandis celles contre les éléments des Forces républicaines de Côte d’ivoire (FRCI) s’étant rendus responsables de crimes graves, devront également aboutir à des procès. La Guinée doit elle aussi organiser depuis plus de 5 ans le procès du massacre du stade du 28 septembre 2009 comme le Mali qui doit toujours tenir le procès du putschiste Aya Sanogo. Mais comment rendre justice aux victimes burundaises, sud soudanaises, celles de Boko Haram, des Chebabs ou celles des services de sécurité qui au nom de la lutte contre le terrorisme tuent sans discrimination quand les justices nationales n’en ont ni la volonté ni la capacité ?
« L’Afrique peut-elle vraiment juger seule ses bourreaux quand le protocole de Malabo censé remplacer la Cour pénale internationale en Afrique garantit l’impunité aux chefs d’Etats, aux chefs de gouvernements et à leurs familles et collaborateurs ? » a déclaré Me Drissa Traoré, vice-président de la FIDH.
La CADHP devrait adopter une résolution rappelant aux Etats africains leur obligation de juger les auteurs des crimes les plus graves et les exhortant à continuer d’être présent en masse au sein de la CPI pour peser de tout leurs poids pour que les crimes commis sur les autres continents soient jugés par la CPI comme ceux des africains.
Autres priorités de la FIDH lors de la 59ème Session ordinaire de la CADHP
Cette session de la Commission s’inscrit dans le cadre de l’ « Année africaine des droits de l’Homme avec un accent particulier sur les droits des femmes ». La FIDH publie à cette occasion deux notes de position, l’une sur la situation des femmes et l’autre sur la situation des réfugiés, demandeurs d’asile, personnes déplacées et migrants en Afrique. Elle formule également des recommandations pour que les États transforment leurs engagements en progrès concrets. La FIDH mènera également des actions de plaidoyer en faveur de l’abolition de la peine de mort et de l’adoption, par l’Union africaine, d’un Protocole à la Charte africaine portant abolition de la peine de mort ; de l’organisation de processus électoraux réguliers, crédibles et sécurisés en Afrique ; de même que sur les situations des droits humains en Côte d’Ivoire, pays sous examen lors de cette session, en Guinée-Conakry, au Soudan du Sud, au Burundi et en République démocratique du Congo.
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