Des conférences prônant l’hostilité envers les personnes LGBTQ+, soutenues par des groupes américains, gagnent du terrain sur le continent africain, alimentant lois répressives et climat de haine.
Une stratégie d’influence américaine méthodiquement construite
Depuis une dizaine d’années, des conférences aux allures de forums interreligieux ou de rencontres sur « la famille traditionnelle » se multiplient en Afrique subsaharienne. Officiellement centrées sur des enjeux éducatifs, familiaux ou moraux, ces événements portent en réalité un discours très hostile aux personnes LGBTQ+. L’Afrique de l’Est — notamment l’Ouganda et le Kenya — est devenue l’un des points de fixation de ces mobilisations. Les conférenciers, souvent venus des États-Unis ou de groupes chrétiens évangéliques influents, y défendent une rhétorique affirmant que l’homosexualité est une importation occidentale, une menace civilisationnelle ou une « déviation spirituelle ». Ce cadrage binaire — entre un « ordre naturel » à préserver et un « complot globaliste » à rejeter — a trouvé un écho dans certaines sphères politiques africaines, déjà gagnées par un conservatisme social.
Derrière ces événements se cache une nébuleuse d’organisations ultraconservatrices américaines, telles que Family Watch International, l’Alliance Defending Freedom (ADF) ou encore l’International Organization for the Family. Ces structures disposent de ressources financières considérables, parfois issues de fondations philanthropiques aux liens troubles avec l’alt-right américaine. Ces groupes investissent en Afrique plusieurs millions de dollars pour organiser conférences, campagnes médiatiques, sessions de formation de leaders religieux ou juridiques, et parfois même pour soutenir des projets de loi anti-LGBT. Leur objectif est clair : faire de l’Afrique un bastion idéologique dans leur guerre culturelle mondiale contre les droits des minorités sexuelles.
L’efficacité de cette stratégie tient aussi à sa capacité à s’ancrer localement. Les acteurs américains ne se présentent pas comme des donneurs de leçons, mais comme des soutiens à des traditions culturelles africaines qu’ils prétendent défendre. En s’alliant à des églises pentecôtistes puissantes, à des chefs coutumiers influents ou à des figures politiques en mal de légitimité populaire, ces groupes parviennent à insérer leur discours dans un narratif local, nourri d’un rejet postcolonial de l’Occident. Ce glissement rhétorique permet de détourner l’attention : ceux qui défendent les droits LGBTQ+ sont alors accusés de vouloir imposer une idéologie étrangère, quand bien même l’idéologie anti-LGBT importée des États-Unis est précisément celle qui structure le discours des conférenciers.
Des conséquences concrètes sur les législations et les droits fondamentaux
Les répercussions de ces conférences idéologiques ne sont pas que symboliques. Elles influencent directement l’élaboration de législations de plus en plus répressives. En Ouganda, en mars 2023, une loi anti-homosexualité particulièrement sévère a été adoptée, prévoyant des peines allant jusqu’à la prison à vie, voire la peine de mort en cas de « récidive ». D’autres pays, comme le Ghana, le Nigeria ou encore la Tanzanie, envisagent ou renforcent des mesures similaires, souvent avec le soutien ou sous l’inspiration directe des groupes ultraconservateurs. Le mimétisme législatif s’accompagne d’un discours moralisateur très structuré, suggérant que la répression est un devoir moral et une protection des enfants contre une soi-disant « propagande homosexuelle ».
L’arrivée de Donald Trump au pouvoir en janvier 2025, après sa réélection, a relancé l’influence des lobbies anti-LGBT au niveau mondial. Parmi les premières décisions de sa nouvelle administration : la réduction drastique des fonds du PEPFAR, le programme américain de lutte contre le sida en Afrique. Ce programme, créé en 2003, avait permis à des millions de personnes d’accéder à des traitements antirétroviraux. Son affaiblissement porte un coup direct aux associations de terrain, en particulier celles qui travaillent avec des populations clés comme les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, les travailleurs du sexe ou les personnes transgenres. En diabolisant ces publics, les ultraconservateurs contribuent à les exclure des dispositifs de soin, aggravant ainsi les inégalités de santé.
Dans les sociétés où les discours anti-LGBT se banalisent, les conséquences sociales sont lourdes : expulsions, violences, « outings » publics, arrestations arbitraires. Dans plusieurs pays, des milices locales ont émergé, souvent avec l’aval tacite des autorités, pour « surveiller » ou « corriger » les comportements jugés déviants. Cette criminalisation s’accompagne d’un effondrement de l’accès à l’éducation, à l’emploi ou au logement pour les personnes LGBTQ+, poussant nombre d’entre elles à l’exil. Loin de se limiter à la sphère privée, la persécution devient structurelle et institutionnalisée, menaçant les principes les plus élémentaires des droits humains.
Des résistances africaines et une solidarité internationale en construction
Malgré ce climat de régression, la résistance s’organise. Dans plusieurs pays, des ONG locales, parfois au péril de leur existence légale, défendent les droits des personnes LGBTQ+ avec courage et constance. À Nairobi, Kampala ou Accra, ces structures assurent un accompagnement juridique, un soutien psychologique et des actions de plaidoyer. Elles sensibilisent également les jeunes générations aux questions de diversité sexuelle et de tolérance. Leur travail est d’autant plus crucial que les aides internationales se tarissent ou sont détournées par des gouvernements autoritaires.
Face à l’ampleur du phénomène, les voix se multiplient pour appeler l’Union européenne, les Nations unies et les grandes ONG internationales à réagir. Plusieurs diplomates plaident pour conditionner les aides au développement au respect des droits fondamentaux. D’autres suggèrent de soutenir plus directement les associations locales, plutôt que de passer par les canaux gouvernementaux corrompus ou complices. Dans ce contexte, l’enjeu n’est plus seulement humanitaire, mais aussi géopolitique : faut-il laisser aux ultraconservateurs américains le monopole de l’influence culturelle sur le continent africain ?
Cette affaire oblige les pays démocratiques à s’interroger : comment promouvoir les droits humains sans paraître imposer des normes culturelles extérieures ? Il ne s’agit pas d’imposer un agenda moral mais de rappeler que la lutte contre les discriminations est universelle. Pour contrer la stratégie des lobbies conservateurs, il faut sortir d’une logique uniquement institutionnelle, et soutenir les voix africaines progressistes qui existent déjà, mais manquent de moyens. Cela implique de redonner du souffle à une diplomatie des droits humains, aujourd’hui fragilisée par les reculs démocratiques et les offensives idéologiques venues d’Amérique comme de Russie.
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