Dogubayazit, ville frontalière turque, redoute un afflux de réfugiés iraniens alors que la guerre s’intensifie. Entre hospitalité et épuisement, l’équilibre vacille.
Une ville sous tension face à la perspective d’un exode massif
À vingt kilomètres de la frontière iranienne, la ville de Dogubayazit vit au rythme des nouvelles alarmantes venues d’Iran. Les combats se multiplient et les habitants savent, pour l’avoir vécu à plusieurs reprises, que cela signifie l’arrivée imminente de populations déplacées. Le calme apparent masque une tension sourde, nourrie par les souvenirs récents de la guerre en Syrie.
Pour beaucoup, l’accueil de familles iraniennes fuyant les affrontements n’est plus une hypothèse mais une certitude. « Nous ouvrirons nos maisons », affirme Hasan Elci, ému mais déterminé. Comme lui, de nombreux habitants se préparent à tendre la main, même s’ils savent que les moyens manqueront. Le devoir humanitaire, profondément ancré dans cette ville kurde, prévaut dans les premières réactions.
Dogubayazit est depuis des décennies un point de passage obligé pour les populations en fuite. Kurdes, Arméniens, Syriens… La ville a toujours été un refuge précaire mais réel pour ceux qui fuient la guerre ou la répression. Cette histoire singulière nourrit une culture locale du secours et du partage, encore vivante aujourd’hui malgré les épreuves passées.
Entre solidarité et angoisse : la société civile face au dilemme
Dans les cafés, les échoppes ou les mosquées, la solidarité s’exprime spontanément. « On ne demande pas l’origine ou la religion », répète un commerçant local. Ce sentiment d’humanité simple est partagé par une large partie de la population, notamment les générations plus âgées, qui ont connu d’autres crises et gardent le sens du devoir envers les plus démunis.
Mais les plus jeunes, déjà confrontés au chômage et à la précarité, perçoivent autrement la possible arrivée de milliers de réfugiés. « Nous ne trouvons déjà pas d’emploi », rappelle Cetin Kucukkaya. Pour cette génération, l’accueil de nouveaux arrivants risque d’aggraver la pénurie de ressources et de les précipiter dans l’exil à leur tour. La solidarité se heurte ici à la peur du déclassement.
La crise syrienne a laissé des traces visibles. Les écoles sont saturées, les loyers ont flambé, les systèmes de santé et d’aide sociale sont à bout de souffle. Si une nouvelle vague arrive, la capacité d’absorption de Dogubayazit semble très limitée. Les marchés locaux voient déjà les prix des produits de base augmenter, créant une anxiété quotidienne chez les familles modestes.
Dogubayazit, miroir des fractures du Proche-Orient
Située au carrefour de plusieurs zones instables, la ville paie le prix de sa position stratégique. À chaque nouvelle crise régionale, Dogubayazit se retrouve en première ligne. Elle est à la fois une passerelle et un tampon, exposée aux soubresauts du Proche-Orient sans en être actrice. Une condition géographique qui l’oblige à naviguer entre devoir d’accueil et instinct de survie.
L’élan moral existe, mais il se confronte à des réalités sociales et économiques implacables. La population ne rejette pas l’accueil, elle redoute de ne pas pouvoir le soutenir. Ce dilemme, profondément humain, reflète le tiraillement des sociétés d’accueil face à des flux migratoires toujours plus fréquents, causés par des conflits de plus en plus rapprochés.
Dogubayazit incarne un défi que de nombreuses villes frontalières connaissent aujourd’hui : comment concilier hospitalité, cohésion sociale et survie économique dans un monde où les guerres déplacent des millions de personnes ? La réponse, ici comme ailleurs, n’est pas tranchée. Elle dépendra des moyens mis à disposition, de la coordination régionale, et d’un soutien international encore trop timide.
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