Oui et non. Non pour autant que nous nous attarderons à nous intéresser aux hommes au lieu de nous attaquer aux idées. Oui à condition de ne pas biaiser le débat en nous attaquant aux vrais problèmes qui minent la société. Cela ne peut se faire qu’au prix d’un changement de mentalités. En soutenant que c’est l’esprit qui dirige la matière, Albert Einstein ne pensait pas si bien dire. Et pourtant !
Dans l’absolu, la réponse est tout de suite non. D’autant plus que depuis la nuit des temps, les solutions dites miracles n’ont jamais été les apanages des humains mais plutôt du ressort de Dieu le Tout puissant, lui seul qui a, va-t-on dire, la science infuse, le don d’ubiquité et l’omniscience.
Pour ce qui est des hommes, il n’existe aucune baguette magique et toutes solutions face aux multiples questions existentielles qui se dressent sur leur chemin appellent le concours d’un certain nombre d’éléments favorables qui doivent les rendre possibles.
A ce stade et de ce point de vue, nous pouvons avancer sans risque d’être contredit que le dialogue politique en tant que tel, du genre de ce qu’a récemment tenu le Gabon, pourrait porter en lui les germes voire non de solutions aux divers problèmes qui se posent au pays et constituer une rampe de lancement pour son envol.
Mais, il est évident que cette réponse est à relativiser, car cela dépend. Dépendre de quoi ? Là se situe la vraie question aux multiples facettes.
Qu’il s’agisse du Gabon ou d’ailleurs, la principale bataille à mener susceptible de rendre possible et d’installer un pays ou une société dans une lancée ou trajectoire de progrès a pour nom la conquête de soi et de son esprit à partir desquels se forge le mental ou la mentalité. C’est le connais-toi de Jean Paul Sartre.
Bien au delà des simples résolutions issues d’un dialogue politique, l’évolution de la société africaine en général et la société gabonaise en particulier dépendra et sera tributaire de l’évolution des mentalités au sein de la pyramide sociale.
Si du bas en haut, des menus peuples aux acteurs politiques en passant par la société civile, il ne s’opère pas d’évolution des mentalités, les pistes de solutions avancées lors des agapes politiques si géniales soient ne resteront que des rendez-vous manqués.
Pour preuve, sans s’interroger sur sa nature réelle, ni les tenants et les aboutissants du dialogue inclusif et sans tabou encore moins scruter en profondeur les principaux objectifs visés par ces assises, certains esprits retors s’attachent déjà à travailler pour détourner ce dialogue de ses véritables visées.
Que constate-t-on et qu’observe-t-on au Gabon ?
Après le dialogue national initié par le président Ali Bongo Ondimba, tous les regards restent en ce moment tournés vers les décisions qui y étaient prises que tout le monde attend voir être mises en application.
A ce sujet, un gouvernement d’Union (majorité et opposition) qui sera chargé de la mise en application des actes du dialogue est attendu dans les prochains jours sinon dans les prochaines heures.
Dans cette attente, la cité ne tarit pas de commentaires, les uns aussi irréalistes que les autres visant surtout certaines têtes couronnées que l’on souhaite voir quitter leur piédestal. Et chacun y va de son couperet.
Le plus étonnant c’est de constater que tout tourne autour d’un débat sur les hommes et non pas un débat porté sur les idées. Du coup, on semble presque reléguer en arrière plan ce qui a été dit d’important au dialogue et l’on ne sait plus à quoi s’en tenir pour la suite des événements.
Peut-être qu’un retour sur quelques repères et une rétrospective aurait-il le mérite d’éclairer l’opinion sur les vrais enjeux de ces assises d’Angondjé tout en jetant la lumière sur les perspectives autant sur certaines questions qui fâchent et qui surchauffent les esprits.
Que retenir donc de ce dialogue dans son esprit? Était-il un dialogue souverain ? Visait-il le gel des Institutions de la République et la disparition des têtes couronnées ainsi que les personnalités qui en détiennent les rênes avant la fin de leurs mandats respectifs ?
En clair, le dialogue inclusif et sans tabou d’Agondjé prévoyait-il faire « tabula rasa » de la présidence de la République, le Sénat, l’Assemblée nationale, le Conseil national de la Communication et d’autres Institutions qui fondent la République ? A quels changements et de quelle nature est-on en droit de s’attendre?
Savoir se poser les bonnes questions et en esquisser les bonnes réponses devrait constituer la trame de réflexion de toute analyse qui se voudrait digne d’intérêt.
Les décisions phares
Au chapitre des grandes décisions, l’on note sur le plan des élections entre autres la création de la CEGE en lieu et place de la Cénap, le retrait à la Cour constitutionnelle de la compétence sur le contentieux des élections locales pour la confier aux tribunaux administratifs.
La Cour constitutionnelle ne nommera plus le président de la CEGE tandis que le ministre de l’Intérieur ne va plus proclamer les résultats électoraux, indique-t-on. Ce rôle sera désormais du ressort de la CEGE qui s’en occupera.
La Cour constitutionnelle n’aura plus la mission de contrôler le recensement général de la population, peut-on retenir parmi les mesures phares et que l’élection présidentielle revient à deux tours.
Quant au mandat présidentiel, sa longueur restera à 7 ans, et garde un caractère illimité. Autre nouveauté, tout Gabonais peut être candidat à l’élection présidentielle dès l’âge de 18 ans alors que le mandat de sénateurs se voit réduit à 5 ans contre 6 actuellement.
Si la Chambre basse (Assemblée nationale) voit porter le nombre des élus de 120 députés à 150 députés, la Chambre haute (Sénat) enregistre une réduction du nombre de sénateurs. Pour ce qui est de l’âge, 40 ans est la barre exigée pour devenir sénateur tandis que cette barre est de 50 ans pour être membre de la Haute Cour. Liste non exhaustive.
Des enseignements que l’on peut tirer des Actes du dialogue d’Agondjé, outre quelques prérogatives retirées à certaines Institutions au profit d’autres, l’on note le changement de noms dans le chef de certaines Institutions notamment le Cénap qui devient la CEGE.
A la lecture de quelques pages de l’histoire du Gabon, il semble que nous n’en soyons pas au premier remue-ménage en matière de distribution des rôles entre certains organes.
Après chaque élection présidentielle, on modifie les dispositions relatives à la Cour constitutionnelle et la cénap (CENI – CENAP – CEGE) sans que cela ne nous fasse réellement avancer.
L’on assiste presque impuissants à la contestation des résultats électoraux particulièrement lors des présidentielles. Et comme toujours, une Institution, la Cour constitutionnelle, semble être pointée du doigt comme étant le bouc émissaire attitré sur qui l’on essuie tous les pêchés du monde.
Ce raccourci semble désormais s’inscrire dans notre ADN politique et tout le monde s’en délecte à la limite.
Quelles leçons ?
En 1994, on avait déjà retiré à la Cour la compétence du contentieux électoral. 5 ans plus tard, après avoir constaté que le Conseil d’Etat n’avait jugé aucun contentieux, on a fini par remettre la mission à la Cour.
Et aujourd’hui, on modifie pour remettre aux tribunaux administratifs locaux qui ont pour hiérarchie le Conseil d’Etat. Ce sont des recettes que les hommes politiques essaient bon an, mal an. Comme qui dirait on tombe, on se relève. C’est la loi de l’essai/erreur chère à Piaget.
Et le sentiment général qui s’en dégage est que toute l’opinion semble s’en satisfaire parce que les hommes politiques sont satisfaits. Pour vu que l’on n’ait pas la mémoire courte au moment crucial des prochaines élections où ces nouvelles dispositions arrêtées à Agondjé par toute la classe politique dans sa diversité aussi bien de la majorité que de l’opposition seront soumises à rude épreuve.
A n’en point douter, ce sont les acteurs politiques de tous bords qui sont les architectes de ce que sera le Gabon de demain et de la qualité de ses élections. Comme on les a tous vus du côté d’Agondjé, personne n’aura à se dérober ni se dédouaner de la transparence et de la crédibilité des prochaines élections.
Sachons donc tirer les leçons de nos erreurs du passé et tournons nous vers l’avenir dont la réussite n’incombe qu’aux Gabonais.
Tournons le dos à la victimisation d’autres Gabonais qui ont et continuent encore à jouer un rôle ô combien essentiel dans l’enracinement de notre jeune démocratie.
« Après le dialogue la présidente de la Cour constitutionnelle va tomber, sa tête est mise à prix, elle sera nommée ministre d’Etat au prochain gouvernement ».
Voilà le type de raccourci qu’il convient de combattre avec la dernière énergie.
Les Institutions, gage de la stabilité
Le dialogue d’Agondje, tout le monde le sait, n’a pas revêtu un sceau souverain. A ce titre, ses résolutions rentrent dans le cadre normal de régulation des règlements et autres actes qui participent à la respiration de la République.
Certes, la Constitution aura à subir quelques modifications mais nul ne doit oublier qu’elle portera en elle le sceau de la « non rétroactivité » pour ce qui concerne les nouvelles dispositions. Les modifications prévues n’entreront en application qu’aux échéances futures.
En somme, ceci revient à dire que les Institutions dans leur ensemble restent en place jusqu’au terme de leur mandat échu.
Le mandat du président de la République court jusqu’en 2023. Pareil pour les sénateurs qui sont élus pour 6 ans. Mais le prochain mandat sera de 5 ans.
Ceci est d’autant plus valable pour les membres de la Cour constitutionnelle qui, après avoir prêté serment, sont inamovibles pour 7 ans. Les modifications constitutionnelles envisagées lors du dialogue d’Agondjé ne s’appliqueront qu’au prochain mandat après octobre 2019. Les prochains membres qui seront nommés en 2019 seront inamovibles pour 9 ans non renouvelables.
Par quel artifice juridique ou autre mécanisme peut-on se croire en bonne posture de penser limoger seule Marie Madeleine Mborantsuo, la présidente de la Cour constitutionnelle, qui fait partie des neufs membres (juges constitutionnels) et liée aux 8 (huit) autres par le principe de collégialité? Une collégialité au nom de laquelle chacun des 9 (neuf) membres est coresponsable de toutes les décisions au même degré que les autres sans qu’aucune prépondérance ne soit de mise ou dévolue à l’un d’eux.
Si d’aventure, l’hypothèse de limogeage doit être envisagée, la logique aurait voulu que celui-ci s’applique naturellement à l’endroit des 9 juges.
Le fait pour la juge constitutionnelle Afrikita d’être la nièce de l’opposant Jean Ping ne doit en aucun cas faire d’elle le bouc d’Azazel sur lequel doivent être essuyés tous les pêchés du monde. Même le président de la République, dans ses prérogatives, ne peut pas la limoger sous le prétexte de sa proximité biologique d’avec Jean Ping.
Les actes posés par son oncle ne l’engagent pas non plus. Tout comme les actes posés par Ali Bongo ondimba n’engagent pas Marie Madeleine Mborantsuo, sa belle-mère soit-elle.
Permettez de reprendre Zarathoustra de Nietzsche en guise d’épilogue : « Chaque peuple parle son langage du bien et du mal » et « s’est inventé le langage de ses coutumes et de ses droits » qui ne se reflète pas simplement dans sa Constitution et dans ses lois, mais aussi dans la famille, dans la structure des classes sociales, dans les habitudes quotidiennes et dans le mode de vie que la communauté met en honneur.
Si l’on définit comme Nietzsche un peuple comme une communauté morale partageant les mêmes idées du bien et du mal, il devient alors clair que les peuples -et les cultures qu’ils créent- ont leur origine dans la composante du « cœur » de l’âme.
Donc, palabres, discours et victimisation n’avanceront pas le pays. Le pays n’avancera qu’à l’aune de l’évolution et du changement des mentalités, clé de voûte du progrès chez les humains. Et surtout quand tout le monde comprendra que la victoire et l’échec sont les deux éléments constitutifs d’une élection. Même s’il y a 11 candidats, un seul deviendra président de la République. Qu’on peut avoir 1000 candidats aux prochaines élections législatives gabonaises, 150 seulement seront élus députés.