Alors que des vidéos de supposés massacres de civils par des supplétifs de l’armée burkinabée circulent sur les réseaux sociaux, le gouvernement dénonce une vaste campagne de manipulation. À travers un communiqué officiel et une prise de parole du procureur de la République, les autorités mettent en garde contre la diffusion de contenus qu’elles jugent trafiqués, tout en cherchant à identifier les responsables de cette désinformation.
Des vidéos troublantes, une émotion immédiate
Sur les séquences en question, des civils, dont des personnes âgées et des enfants, sont escortés par des hommes armés vers une destination inconnue. Certains sont menacés avec des armes blanches, tandis que d’autres images montrent des corps sans vie. Si l’origine de ces vidéos reste incertaine, leur diffusion massive a immédiatement enflammé l’opinion publique et alimenté un climat de tension dans un pays déjà éprouvé par la violence.
En quelques heures, ces images ont envahi les plateformes numériques, notamment Facebook et WhatsApp, où elles ont été partagées par des milliers d’internautes. Dans un pays où la communication digitale prend une place grandissante dans la formation de l’opinion, ce type de contenu, qu’il soit authentique ou trafiqué, peut avoir des effets dévastateurs, attisant les peurs et les clivages.
Le Burkina Faso, confronté à une insécurité chronique liée aux attaques jihadistes et aux tensions communautaires, est un terrain propice aux campagnes de désinformation. Ces vidéos émergent dans un climat où l’armée et ses supplétifs, engagés dans la lutte contre les groupes terroristes, sont régulièrement accusés d’exactions contre des civils, accusations souvent contestées par le pouvoir en place.
Un gouvernement sur la défensive face à des accusations lourdes
Dans un communiqué publié le 22 mars, le porte-parole du gouvernement burkinabé a condamné ce qu’il qualifie de « tentatives de manipulation » orchestrées par des « personnes mal intentionnées ». Selon lui, ces vidéos s’inscrivent dans une « vaste campagne politico-médiatique de diabolisation et de dénigrement » du Burkina Faso, visant à ternir l’image du pays sur la scène internationale.
Cette réaction s’inscrit dans une stratégie plus large du gouvernement burkinabé, qui adopte depuis plusieurs mois une posture ferme face aux critiques, notamment sur la gestion du conflit sécuritaire. En dénonçant une instrumentalisation médiatique, les autorités cherchent à discréditer les sources relayant ces vidéos, tout en consolidant leur propre récit autour d’un Burkina Faso victime d’attaques informationnelles.
En rejetant catégoriquement ces accusations et en mettant en garde contre leur diffusion, le gouvernement prend le risque d’aggraver la défiance entre l’État et certaines franges de la population. Si ces vidéos s’avèrent authentiques, la stratégie du déni pourrait accentuer la frustration et le sentiment d’abandon de certaines communautés. À l’inverse, si ces images sont effectivement manipulées, leur diffusion témoigne d’une guerre de l’information où la perception de la réalité importe parfois plus que la réalité elle-même.
Vers un encadrement renforcé de l’espace numérique ?
Dans la foulée du communiqué gouvernemental, le procureur de la République Blaise Bazié a annoncé l’ouverture d’une enquête et a lancé un appel à témoin afin d’identifier les auteurs de ces publications. Cette initiative vise à traquer les profils et groupes Facebook diffusant des messages haineux, dans une volonté affichée de mieux contrôler les discours en ligne.
Si cette annonce s’inscrit dans une logique de régulation de l’espace numérique, elle pose aussi la question des limites à la liberté d’expression. Dans un contexte où plusieurs régimes africains ont récemment adopté des lois restrictives sur l’usage des réseaux sociaux, la crainte d’un durcissement du contrôle de l’information au Burkina Faso n’est pas à exclure. Une régulation accrue pourrait permettre de lutter contre la désinformation, mais aussi ouvrir la voie à une censure politique.
Que ces vidéos soient authentiques ou falsifiées, elles illustrent la manière dont les conflits modernes se jouent aussi sur le terrain numérique. Désormais, les guerres ne se mènent plus uniquement sur le champ de bataille, mais également dans l’arène de l’opinion publique, où la perception et la narration comptent autant que les faits eux-mêmes. Dans cette lutte pour le contrôle du récit national et international, le Burkina Faso ne fait pas exception et devra naviguer entre crédibilité, contrôle et vérité.
Be the first to comment on "Burkina Faso : entre mise en garde et guerre de l’information"