La junte place la mine d’or de Barrick sous contrôle

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Un tribunal malien met sous administration provisoire la mine Loulo-Gounkoto, gérée par le géant canadien Barrick, sur fond de bras de fer fiscal et politique.

Une mise sous tutelle judiciaire au retentissement international

La cour de commerce de Bamako a frappé fort : le 16 juin 2025, elle a prononcé la mise sous administration provisoire de la mine d’or de Loulo-Gounkoto, fleuron du géant canadien Barrick Gold. Cette mesure, applicable pour six mois, vise selon les autorités à garantir la continuité de l’exploitation face aux blocages judiciaires et opérationnels. C’est l’ancien ministre Soumana Makadji, homme du sérail politique malien, qui en assumera la direction temporaire. La mine, fermée depuis janvier suite à une saisie d’or et des tensions croissantes avec l’État, redevient donc un outil placé sous le contrôle direct du pouvoir. Cette décision inédite, annoncée sans préavis, bouleverse l’équilibre du secteur extractif au Mali et au-delà.

La mine concernée est l’une des plus rentables du portefeuille mondial de Barrick, produisant plusieurs centaines de milliers d’onces d’or par an. Située dans la région de Kayes, elle est aussi un pôle d’emploi et de revenus pour l’État malien. Sa mise sous scellés depuis janvier avait déjà entraîné l’interruption des exportations, sur fond de conflit autour de la mise en œuvre du nouveau code minier, adopté par la junte en 2023. Le contentieux portait notamment sur la fiscalité accrue, la participation obligatoire de l’État et les modalités de rapatriement des devises. Avec cette décision judiciaire, le différend prend une dimension nouvelle, où les règles de droit croisent les jeux de pouvoir.

Barrick n’a pas tardé à réagir. Le groupe canadien conteste la mesure, dénonce un déni de justice et annonce un recours devant le CIRDI (Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements). Ce bras de fer juridique s’accompagne d’un repli opérationnel : Barrick a exclu Loulo-Gounkoto de ses prévisions 2025, ce qui pourrait entraîner une perte de plusieurs centaines de millions de dollars. Le PDG, Mark Bristow, visé par un mandat d’arrêt malien pour des motifs liés à la corruption, réfute toute irrégularité et accuse le gouvernement de s’éloigner des standards internationaux. Une affaire au long cours semble s’ouvrir.

Une guerre fiscale sur fond de souveraineté extractive

Depuis 2023, la junte malienne a réformé en profondeur le cadre légal de l’exploitation minière. Le code minier impose une participation accrue de l’État, qui peut monter jusqu’à 35 %, et limite les avantages fiscaux traditionnellement accordés aux compagnies étrangères. Cette refonte, présentée comme une reprise en main de la souveraineté économique, vise à augmenter les recettes publiques dans un contexte de sanctions internationales et de ralentissement de l’aide extérieure. Mais pour Barrick, ce nouveau cadre revient à remettre en cause les termes contractuels antérieurs. La situation crée un climat d’insécurité juridique qui inquiète l’ensemble du secteur.

L’or représente près de 75 % des exportations du Mali. La fermeture de Loulo-Gounkoto a donc un effet massif : baisse de devises, chômage technique, interruption de chantiers d’infrastructure liés. Plus de 3 000 personnes travaillaient directement ou indirectement sur le site. En période de tensions budgétaires, l’absence de revenus miniers pèse sur les comptes publics et renforce la dépendance à l’or artisanal, difficilement contrôlable. Si le gouvernement espère que la nomination d’un administrateur rétablira l’activité, les experts doutent que cela puisse suffire sans un accord global avec l’opérateur initial.

Le sort des salariés reste l’angle mort du conflit. Plusieurs syndicats s’inquiètent du flou juridique sur les contrats de travail, des retards de salaire et de la détérioration des conditions de sécurité sur le site. L’arrestation de plusieurs cadres maliens de Barrick et l’exil forcé de certains directeurs expatries n’ont fait qu’aggraver le malaise. Si le gouvernement promet que l’emploi sera préservé, aucune mesure concrète n’a encore été annoncée. La méfiance grandit parmi les employés, qui redoutent que la transition administrative ne soit qu’un habillage d’une nationalisation déguisée.

Une décision aux résonances régionales et globales

Le Mali n’est pas seul. Le Burkina Faso et la Guinée ont adopté des mesures similaires de renationalisation partielle des secteurs miniérs, dans un mouvement plus vaste de réappropriation économique. Ces choix sont souvent portés par des pouvoirs de transition militaire en quête de légitimité populaire. Pour les analystes, l’affaire Barrick au Mali pourrait faire jurisprudence, incitant d’autres gouvernements à imiter cette posture régalienne. Mais le risque est aussi celui d’une fuite des capitaux et d’un isolement progressif des régimes africains sur les marchés financiers.

Le recours annoncé par Barrick au CIRDI replacera le différend dans un cadre de droit international. Ce tribunal, bras judiciaire de la Banque mondiale, devra arbitrer entre un contrat d’investissement préexistant et un changement de législation nationale jugé légitime par le Mali. L’enjeu n’est pas uniquement juridique : il touche à la définition même de la souveraineté économique, dans un contexte où les grands groupes extractifs se retrouvent confrontés à des États désireux de revoir les règles du jeu.

Si Barrick subit un revers durable au Mali, d’autres opérateurs pourraient geler leurs projets ou reconsidérer leur exposition en Afrique de l’Ouest. Des compagnies comme AngloGold Ashanti ou Endeavour Mining suivent de près l’évolution de la situation. L’Afrique, riche en ressources, mais instable politiquement, risque de perdre en attractivité face à d’autres zones minières plus prévisibles. Pourtant, les besoins en métaux stratégiques ne cessent de croître. La capacité des États africains à stabiliser leur cadre légal sera donc déterminante dans la prochaine décennie.

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