Soudan–Émirats : rupture totale autour de l’or

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Khartoum interdit tout investissement émirien et annule les accords miniers, sur fond de tensions diplomatiques et d’escalade économique.

Un embargo soudanais au parfum de revanche

Le Conseil militaire de transition, dirigé par le général Abdel Fattah al-Burhan, a annoncé mardi 12 août l’interdiction pure et simple des investissements et activités économiques des Émirats arabes unis au Soudan. Cette mesure frappe en priorité le secteur stratégique de l’or, avec l’annulation immédiate de tous les accords bilatéraux conclus dans ce domaine. Pour Khartoum, c’est une réponse directe aux restrictions imposées par Abou Dhabi, qui a suspendu l’exportation d’or soudanais et progressivement coupé ses liaisons aériennes, terrestres et maritimes avec le pays.

Jusqu’ici, les Émirats constituaient le premier importateur de l’or soudanais. Sur les six premiers mois de 2025, 10 tonnes de métal jaune, pour une valeur estimée à 900 millions de dollars, ont quitté le Soudan à destination d’Abou Dhabi. La décision de Khartoum vise donc l’un de ses principaux débouchés, mais s’inscrit dans une stratégie déjà amorcée depuis le début du conflit : diversifier les clients pour réduire la dépendance au marché émirien.

La rupture économique fait suite à une rupture diplomatique déjà consommée le 6 mai 2025, après que Khartoum a accusé les Émirats de frappes sur Port-Soudan et les a désignés comme « pays ennemi ». L’escalade a atteint un nouveau seuil avec la destruction, par l’armée soudanaise, d’un avion émirien à Nyala, capitale du Darfour du Sud. Ces événements ont transformé une rivalité larvée en confrontation ouverte.

Des alternatives économiques déjà en préparation

Pour le gouvernement soudanais, l’impact des mesures d’Abou Dhabi devrait rester limité. Nour al-Daïm Taha, ministre des Minéraux, assure que « les alternatives sont prêtes ». L’Arabie Saoudite, la Russie, la Turquie et d’autres acteurs se sont déjà positionnés pour investir massivement dans le secteur minier soudanais. La rencontre, ce dimanche, entre l’ambassadeur russe et le ministre soudanais illustre cette volonté de réorienter rapidement les flux commerciaux.

Parallèlement, Khartoum a annoncé la mise en place d’une bourse mondiale de l’or, destinée à réguler la vente et l’exportation. L’objectif est double : instaurer un cadre réglementaire fiable et combattre le commerce illicite, qui finance en grande partie l’effort de guerre. Selon les autorités, la régulation par une place boursière nationale doit renforcer la souveraineté économique et attirer des partenaires plus diversifiés.

Malgré le conflit, la production d’or soudanaise a atteint un niveau record en 2024, avec des exportations annuelles oscillant entre 1,8 et 3 milliards de dollars. Cette performance témoigne de la centralité du métal précieux dans l’économie nationale, mais aussi de l’urgence à sécuriser ses circuits de commercialisation, pour éviter que le commerce illégal ne siphonne les recettes de l’État.

Une rupture aux conséquences géopolitiques durables

La coupure totale des liens économiques consacre une hostilité qui dépasse la simple question minière. Les accusations de frappes émiriennes sur Port-Soudan, et la riposte militaire soudanaise, ont refermé la porte à tout dialogue bilatéral dans un avenir proche. Les Émirats, influents sur la scène régionale, pourraient chercher à isoler davantage Khartoum sur le plan diplomatique.

Face à cette hostilité, Khartoum intensifie ses relations avec d’autres puissances, notamment la Russie et la Turquie, déjà actives en Afrique dans les secteurs énergétique et minier. L’Arabie Saoudite, concurrente régionale des Émirats, pourrait également profiter de l’occasion pour accroître son influence économique au Soudan.

Dans un pays en proie à un conflit interne prolongé, l’or n’est pas seulement une ressource économique : c’est un outil stratégique. Le contrôle de sa production et de son exportation conditionne à la fois le financement de l’État et l’équilibre des forces sur le terrain. En se coupant d’Abou Dhabi, Khartoum parie sur une redistribution des cartes régionales… mais prend le risque de s’exposer à de nouvelles pressions économiques et politiques.

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