Ainsi parle le président d’Ensemble Pour la République (EPR) au cours de cet entretien dans lequel il estime que cela « permettrait de panser les plaies ». Lecture.
Les agressions sont récurrentes ces derniers temps au Gabon. Souvenez-vous du gendarme qui a gazé des élèves dans un bus, d’un élève qui a poignardé son ami dans un lycée public à Oyem. Et maintenant, des Danois agressés par un homme. Tout va crescendo ! Comment stopper cette escalade de violence ?
Je voudrais d’abord regretter ces violences que je condamne fermement. Mais je pense qu’il est aussi important de regarder cela avec beaucoup de sagesse et de recul. Ainsi, dissocier les différentes formes de violences que nous constatons dans notre pays. Il y a peut-être des faits isolés. Je pense que depuis très longtemps, nos forces de sécurité essayent de maintenir l’ordre. Dans le cas du gendarme agresseur, c’est la première fois que nous avons une bavure de cette dimension. Il est important que des enquêtes soient réellement menées pour comprendre le comportement de cet agent. A-t-il agit sous le coup de la pression, du stress ? Car, n’oublions pas que depuis 2009, nos militaires sont pratiquement dehors et cela peut agacer, voire irriter. Je ne veux pas m’avancer sur les résultats de l’enquête que nous attendons tous. Mais ce qui m’inquiète le plus c’est la violence au sein des établissements scolaire.
Déjà à la faveur d’une récente déclaration, j’avais attiré l’attention en affirmant que notre milieu scolaire a cessé d’être le lieu de l’éducation et de la formation de l’excellence. C’est devenu un fourre-tout, où tout se monnaie. Nous avons des vices, des trafics et tout type de violence. Nous parlons même de prostitution. Comment s’étonner que dans ce milieu la violence y trouve un terreau propice ? C’est le contraire qui aurait étonné ! Cette violence est un cri d’alarme, un avertissement et le pire peut venir de nos écoles et collèges !
Lors de la dernière élection présidentielle, j’avais proposé la mise en place d’un conseil national pour l’éducation et la formation. Et tout dernièrement, j’ai demandé l’organisation d’un dialogue sur l’éducation au Gabon. Car, nous ne pouvons plus continuer avec ce système, en l’état. Si nous échouons avec l’éducation et la formation de notre jeunesse, nous ne récolterons rien de bon demain.
Une fois de plus, je demande au gouvernement, au chef de l’Etat, d’ouvrir un véritable dialogue sur l’éducation. Je ne parle pas d’états généraux, de programmes scolaires, mais de tout l’environnement éducatif. Nous devons assainir ce milieu, le rendre tel qu’il était il y a une trentaine d’année pour que l’éducation retrouve ses lettres de noblesse. J’avais suggéré la mise en place des internats, que le transport scolaire soit gratuit…il y a matière à explorer.
S’agissant du gendarme ayant lancé la bombe lacrymogène dans un bus, n’auriez-vous pas un retour sur la progression de l’enquête ?
Nous n’en avons aucun ! Ce que nous savons, c’est qu’il y a des mesures disciplinaires qui ont été prises par la hiérarchie militaire, à l’encontre du gendarme. Mais je pense qu’il faut aller plus loin. Il faut regarder la chaine de commandement, à quel niveau le mal est arrivé. Il est peut-être précipité d’en parler maintenant, nous attendons.
Le Gabon emprunte beaucoup d’argent auprès des bailleurs de fonds internationaux. A l’évidence, notre pays survit grâce aux emprunts. Cela va durer combien de temps encore ?
Nous avons raté la transition économique au Gabon. Malheureusement, nous avons toujours été un pays vivant de la simple exploitation de ses ressources minières et naturelles. Nous n’avons pas pu développer un système économique, en partant du secteur primaire au secteur secondaire, et même tertiaire. Là est tout le problème justement.
Contrairement aux autres pays à l’instar du Qatar qui ont utilisé leur rente pétrolière pour mettre en place un système économique moderne et performant basée sur une véritable diversification, nos gouvernants, eux , ont gâché les plus belles années de la vie de notre pays, en utilisant les revenus du pétrole pour partager de l’argent entre les uns et les autres, avec un taux de corruption très élevé. Ce n’est pas le Président Omar Bongo qui nous démentirait quand il affirme que « si chaque franc investi pour la route avait réellement été affecté à cela, nous aurions le meilleur système routier d’Afrique. Idem pour l’éducation ».
L’argent du pétrole a été utilisé pour la consommation, la distribution et non pour le développement du pays et la mise en place d’une économie compétitive. Nous sommes à la croisée des chemins, nous devons nous décider. Je sais que ça va être compliqué, car il nous faut partir de cette économie de rente pour entrer dans la production.
Il faut une réelle diversification de notre économie. D’un côté, il faut pouvoir tenir la gestion du quotidien de l’Etat. Et de l’autre, il y a nécessité de rompre avec l’ancien système pour mettre en place une économie réellement moderne, basée sur l’industrialisation et le développement des services. Cette transition risque d’être longue et difficile. Et pendant cette période, les emprunts ne cesseront sûrement pas s’il n’y a pas d’embellie, notamment au niveau du pétrole.
Je suis conscient que nous sommes face à une situation tendue. Et, maintenant, il nous faut beaucoup de courage pour atteindre cet objectif de diversification.
Nous avons commencé au niveau de l’agriculture, où le Groupe Olam est en train de faire un gros travail. Mais cette diversification doit toucher d’autres secteurs d’activités. A l’instar de la pêche ou encore le bois, le tourisme ou encore les services.
Si le prix du baril du pétrole n’augmente pas, comment assurer la stabilité économique du pays et financer l’investissement public ?
Malgré la crise, le Gabon dispose encore de ressources considérables. Nous devons changer notre manière de gérer le bien public. La mal gouvernance, les détournements, l’impunité. C’est là où ne devons apporter des changements drastiques.
A coté de ces changements nécessaires, je pense que nous disposons encore de gros atouts pour réussir. En effet, contrairement à ce que beaucoup d’entre nous pensent le Gabon continue à plaire. Je me suis récemment entretenu avec un grand major de l’industrie mondiale qui m’a clairement affirmé que le Gabon pourrait jouer un rôle majeur dans le développement de l’Afrique au cours des vingt -cinq (25) prochaines années. Mais pour y arriver nous devons mettre en place un cadre attractif pour favoriser l’arrivée des investisseurs.
Nous venons d’inaugurer les activités du port cargos d’Owendo avec un investissement de 180 milliards de francs, sans que l’Etat n’ait déboursé un franc, mais à travers un partenariat public-privé. Voici un exemple qui marche. Je pense que c’est la voie à suivre.
Les populations de Libreville éprouvent toujours des difficultés d’approvisionnement en eau potable. Le contrat entre l’Etat et la Société d’énergie et d’eau du Gabon (SEEG) n’est-il pas une arnaque ?
Ce qui m’importe c’est l’avis des Gabonais. Je crois que c’est un contrat qui ne satisfait pas les Gabonais. Ces derniers ont-ils accès à l’eau et l’électricité à un prix décent ? Je dis non. Il y a des quartiers à Libreville où les populations passent un mois, voire plus, sans une goutte d’eau. Et le pire, c’est que les factures d’eau sont toujours aussi élevées. A la lumière de ces faits, il est clair que le contrat entre l’Etat et la SEEG est loin d’être potable. Je ne parlerai de satisfaction qu’à partir du moment où les Gabonais auront l’eau et l’électricité en tout temps et tout lieu, et paieront des factures correspondant à leur réelle consommation.
Vous avez participé au dialogue organisé par Ali Bongo et le Parti démocratique gabonais (PDG), à Angondjé, pour résoudre la crise postélectorale. Avez-vous l’impression d’avoir réglé cette crise ?
Nous sommes allés au dialogue parce que depuis 1990 nous avons des mauvaises élections. Et chacune de ces élections se solde toujours par des contestations suivies des violences. Nous savons tous que les acteurs politiques, les membres de la Société Civile et une grande partie des gabonais n’accordent aucune confiance aux institutions en charge de l’organisation des élections. Par ailleurs nous sommes tous d’accord que la Constitution Consensuelle de 1991 a été plusieurs fois modifiée perdant ainsi son essence démocratique.
En gros c’est pour trouver des solutions durables aux crises post-électorales que nous sommes allés au dialogue. Ce dialogue nous a-t-il permis de régler la crise ?
Soutenez-vous la révision constitutionnelle, notamment l’exclusivité du pouvoir exécutif dans les seules mains du chef de l’Etat ?
Nous ne pouvions pas tout obtenir au cours de ce dialogue. Le principe d’une négociation c’est aussi céder au camp d’en face un certain nombre de points et en gagner d’autres ailleurs.
L’opposition voulait de bonnes élections, car tout se fait et se décide à ce niveau. Et nous avons obtenu gain de cause au niveau de la transparence des élections. Là-dessus, le camp de la majorité a reculé.
Maintenant en ce qui concerne les relations au niveau de l’exécutif entre le Président et le Premier Ministre, surtout en cas de cohabitation, certains estiment que la réforme Constitutionnelle accorde l’exclusivité du pouvoir exécutif dans les seules mains du Chef de l’Etat. Au fait qu’est ce qui est réellement dit dans cet article 28 ? « En cas de changement de majorité à l’Assemblée Nationale, la politique de la Nation est conduite par le Gouvernement en concertation avec le Président de la République ». On parle bien de concertation ici. Personne ne parle d’exclusivité.
Sérieusement, le Gabon a-t-il besoin de 120 députés ?
J’ai toujours été pour la suppression du sénat. Tout comme j’ai toujours demandé de ramener le nombre de députés à 81. Je pense sincèrement que nous pouvons fonctionner avec un parlement monocaméral de 81 députés. C’est ma position. Mais d’autres soutiennent qu’il nous faut toujours un Sénat et plus de 120 députés. Ce qui a d’ailleurs suscité des débats houleux lors des assises d’Angondjé.
Au Gabon, il nous faut absolument changer notre manière de fonctionner : la politique ne doit pas être le lieu par excellence où l’on vient s’enrichir. Nous devons désormais orienter les jeunes Gabonais vers l’entreprenariat. C’est ça le principe !
Votre parti soutient-il que la révision constitutionnelle est une affaire des parlementaires et non du peuple ?
Depuis toujours, les élections ont été contestées au Gabon. D’aucuns ont dit allons au référendum pour modifier la Constitution. Mais qui va organiser ce referendum ? La CENAP et la Cour constitutionnelle que nous contestons ? Allons-nous subitement faire confiance à la CENAP et la Cour Constitutionnelle actuelle? Je pense que nous devons rester logiques.
Je pense que la révision actuelle est exceptionnelle en ce sens qu’elle est issue d’un consensus politique. Mais, dans le futur, lorsque nous aurons des institutions en charge de l’organisation des élections crédibles, un fichier électoral fiable, une loi électorale acceptée par tous, nous pourrons faire des révisions constitutionnelles à travers le référendum. Pour le moment ce n’est pas encore le cas.
Vous aviez un observatoire de la démocratie que vous avez abandonné. Quel est l’état de la démocratie au Gabon ?
Nous sommes en train de travailler avec des membres de la Société Civile, pour un passage de témoin au niveau de l’Observatoire et, très prochainement, il y aura un congrès dessus.
Pour ce qui est de l’état de notre démocratie, je dirai tout simplement que la démocratie gabonaise est en construction.
J’ai participé au dernier dialogue et à la dernière élection présidentielle. Lorsque nous aurons totalement promulgué et adopté la nouvelle Constitution, nous aurons amélioré notre démocratie.
Je sais qu’il y a aussi un débat autour de la non limitation du nombre de mandats. Il est vrai que j’étais favorable à une limitation mais ma position a évoluée. Je pense qu’avec les élections libres, démocratiques et transparentes, le peuple souverain pourra limiter les mandats de lui-même.
Je ne pense pas que le fait de cumuler plusieurs mandats dans un système démocratique affirmé soit une tare. Pour preuve, la chancelière allemande est à son quatrième mandat cela ne fait pas de l’Allemagne une mauvaise démocratie.
Je crois que nous devons continuer à travailler pour renforcer notre démocratie en prenant toutes les dispositions qui permettent au peuple souverain de choisir ses dirigeants en tout âme et conscience. La clé de toute démocratie est l’organisation des élections libres, démocratiques et transparentes et dont les résultats sont acceptés par tous !
Bertrand Nzibi, Pascal Oyougou, Amiar Washington et bien d’autres personnalités sont toujours en prison. Cela n’est-il pas un frein pour le retour de la sérénité dans le pays ?
La sérénité, j’y pense depuis 1990. Celle-ci ne peut s’installer si nous ne nous parlons pas. J’ai toujours demandé la mise en place d’une Commission Vérité et Réconciliation. Car, pour se réconcilier il faut au préalable passer par la case vérité. La vérité soigne, la vérité guérit.
Depuis 1993, nous disons que les élections sont mal organisées avec, comme conséquences, des violences et plusieurs effets collatéraux. Il n’y a pas que les personnalités sus-citées. Quid des personnes ayant perdu des emplois en 1990 ou 2009 ? Quid des personnes ayant perdu des biens à l’issue d’une élection présidentielle? C’est pour cette raison qu’une Commission Vérité et Réconciliation serait la bienvenue. Dans la mesure où elle permettrait de panser les plaies. Je ne pense pas que le tribunal soit le meilleur lieu pour solder les comptes.
Toutefois je vous rappelle que lors du dialogue, l’opposition a demandé la mise en liberté de ces personnalités. Cette demande forte a été enregistrée par le Gouvernement. Mais il se pose une question de procédure : le Président de la République ne peut user de son pouvoir de grâce qu’au terme de la procédure judiciaire et après qu’un jugement soit prononcé.
Dans le cas qui nous concerne je pense que le président attend que le jugement soit prononcé pour agir en faveur des personnalités incarcérées.
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