Au Sénégal le débat est ouvert sur l’élection présidentielle de 2019. L’exclusion de Karim Wade est au centre d’une polémique. Les langues se sont déliées. Même les magistrats parlent.
« La compétition pour l’élection du Président de la République est un moment important dans la vie d’une nation. Elle cristallise tous les enjeux. Le processus électoral est cependant encadré par le Droit. Ce droit ne saurait être comme la guerre, la continuation de la politique politicienne par d’autres moyens » a dit Yaya Amadou Dia, magistrat en position de disponibilité, ancien assesseur à la cour de Répression de l’Enrichissement Illicite(CREI).
Pour ce magistrat, sa finalité, c’est d’assurer l’égalité, l’ordre, la stabilité, la paix et la justice. « Il ne saurait être dévoyé de cette finalité pour devenir une arme de destruction massive d’opposants politiques afin de s’ouvrir un boulevard pour les prochaines échéances électorales. L’ère des coups d’état électoraux doit être à jamais révolue surtout pour un pays qui a connu deux ou trois alternances au sommet de l’Etat. Dans la même veine, tous ceux qui veulent bien ouvrir leurs yeux ont constaté que la caractéristique principale de cette 4eme République du Sénégal, est qu’à tous les niveaux de l’Etat, l’injustice et le parti pris sont érigés en règles, la justice et l’égalité, confinées au rang de simples exceptions », a dit l’ex-juge de la CREI.
A propos de justice et de respect des règles, il a fait comprendre « qu’ il est important de souligner que les lignes qui suivent ne violent aucune disposition du statut de la magistrature. Ce statut permet, en son article 11, de nous exprimer sur toutes questions d’ordre techniques qui intéressent la communauté nationale ». Pour Yaya Amadou Dia, l’appréciation, au regard de la loi, de la recevabilité de la demande d’inscription d’un sénégalais sur les listes électorales, en l’occurrence Karim Wade et la recevabilité de sa candidature à l’élection du Président de la République est une question éminemment technique.
« L’autre précision que nous souhaitons faire est que nous avons été l’un des juges de monsieur Wade à la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite. Nous avons dû démissionner de cette juridiction parce que nous n’en partagions pas l’orientation. Seule encore, l’exigence de responsabilité, de vérité et de justice justifie les mots qui suivent. Il est en effet indispensable pour le juge et le citoyen que nous sommes de donner notre avis, ne serait-ce que pour prévenir toute manipulation législative ou administrative visant à favoriser un camp sur un autre et de fustiger par avance toutes manœuvres frauduleuses apparentes ou cachées, cautionnées par une fuite de responsabilité juridictionnelle ou enrobées dans de savantes interprétations législatives et jurisprudentielles », ajoute t-il dans son argumentation.
Pour l’ex-juge, le pouvoir appartient au peuple et uniquement au peuple qui l’exerce par le biais de ses représentants. A cet égard, tout sénégalais électeur peut faire acte de candidature et être élu sous réserve des conditions d’âge et des cas d’incapacité prévus par la loi.
Et de poursuivre : « le droit à l’éligibilité ainsi qu’à la jouissance des droits civiques, civils et politiques s’apprécient, en l’état actuel de notre droit, au regard des dispositions constitutionnelles, du code pénal et du code électoral, en tenant compte de la conformité des derniers codes précités à la Loi Fondamentale ».
Au regard de ces dispositions, la condamnation de Karim Wade par la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite (CREI) n’est pas un obstacle tant à son inscription sur les listes électorales qu’à la recevabilité de sa candidature à l’élection du Président de la République. Cette candidature demeure juridiquement recevable quel que soit l’angle sous lequel on l’examine.
Seul un coup de force électoral, revêtu des oripeaux d’une justice libre et indépendante mais, en réalité, inféodée aux intérêts dominants du moment pourra faire obstacle à l’acceptation de cette candidature, tient-il à préciser.
Pour lui, les dispositions pertinentes applicables sont les articles 23, 27, 34 et 35 du code pénal, aux termes de ces dispositions, seule, dit-il, la condamnation à une peine d’emprisonnement criminelle, emporte la dégradation civique. Celle-ci consiste au regard de l’article 27 en la destitution et l’exclusion des condamnés de toutes fonctions, emplois ou offices publics, dans la privation du droit de vote et d’éligibilité et en général de la privation de tous les droits civiques et politiques.
« La loi ne pose aucune interdiction d’exercer une fonction publique à la suite d’une condamnation pour délit. Cette condamnation n’est pas un obstacle, en l’état actuel de notre droit, à l’exercice d’un mandat électif ou de la charge de Président de la République », fait-il remarquer.
Concernant l’exercice du droit de vote, « les articles 34 et 35 précisent que les tribunaux ne pourront interdire leur exercice que lorsqu’il aura été autorisé ou ordonné par une disposition particulière de la loi » a-t-il martelé. Pour l’ex-juge de la CREI, aucune disposition de la loi 81-53 du 10 juillet 1981 relative à la répression de l’enrichissement illicite ne prévoit l’interdiction d’exercer les droits civiques pour le délit de l’article 163 du code pénal. Ce qui justifie le rejet par la CREI de la peine complémentaire, pourtant requise par le ministère public.
« L’Inscription sur les listes électorales ne peut-être appliquée » dit-il
Sur le fondement de cette disposition, « l’interdiction d’inscription sur les listes électorales ne peut être appliquée que si la personne est condamnée soit pour une peine criminelle, soit pour une peine délictuelle assortie des peines complémentaires de l’article L 34 du CP, à savoir l’interdiction en tout ou en partie de l’exercice des droits civiques, civils et de famille tels que le droit de vote et d’éligibilité, sans que la personne condamnée n’ait bénéficié de la réhabilitation ou fait l’objet d’une mesure d’amnistie », fait-il rappeler.
« De quelques angles que l’on se situe pour examiner la question posée, on se rend compte que seule la loi du plus fort peut faire obstacle à l’inscription de Karim Wade sur les listes électorales et à la recevabilité de sa candidature. Encore à admettre que la loi du plus fort puisse triompher et que Karim Wade ne s’inscrive pas sur les listes électorales, sa candidature reste malgré tout recevable. L’inscription sur les listes électorales n’est pas une condition de recevabilité d’une candidature au regard des dispositions de l’article L 115 du code électoral », explique l’ex-juge.
Il a aussi fait savoir que « la présence sur les listes électorales implique seulement la possibilité et non l’obligation de voter le jour du scrutin pour toute personne qui le souhaite. La qualité d’électeur ne s’apprécie pas, de façon absolue, par rapport à l’inscription ou non sur une liste électorale. Elle ne s’apprécie qu’au regard des seules dispositions de l’article 3 dernier alinéa de la Constitution et L 27 du code électoral aux termes desquels « sont électeurs les sénégalais des deux sexes, âgés de dix-huit (18) ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et politiques et n’étant dans aucun cas d’incapacité prévu par la loi ».
« Seules, la minorité et la perte de la jouissance des droits civiques et politiques empêchent d’être électeurs. Karim Wade qui n’est dans aucun de ces cas restent électeur au regard de la loi ».
Qu’en est-il de la recevabilité relativement à l’existence d’un casier judiciaire mentionnant une condamnation pénale.
Il dit que « l’absence d’un casier judiciaire vierge ne peut être une entrave à la recevabilité d’une candidature à l’élection présidentielle. En effet, l’article L 115 pose les conditions requises pour être candidat à l’élection du Président de la République et cette disposition n’a jamais mentionnée l’absence de condamnation pénale ou même d’ailleurs la qualité d’électeur comme condition requise pour participer à la compétition électoral malgré les contradictions voulues et installées à travers l’article L 57 ».