L’Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes du Sénégal (ARTP) a officiellement lancé, le 27 mars, les activités commerciales de trois nouveaux Fournisseurs d’Accès Internet (FAI): Arc Informatique ; Waw Sas et Africa Access.
Lancé le 07 novembre 2016 pour se terminer le 07 décembre 2016, l’appel d’offres qui a abouti à l’attribution des licences FAI, s’est déroulé en violation des droits communautaires CEDEAO et UEMOA, indique-t-on.
D’abord, la limitation à trois (03) du nombre de licences FAI attribuées n’est pas conforme aux dispositions de l’article 8 alinéa 3 de la Directive nº 2/2006/CM/UEMOA et de l’article 14 alinéa 2c de l’Acte Additionnel CEDEAO A/SA 3/01/07 relatif à l’harmonisation du régime applicable aux opérateurs de réseaux et fournisseurs de services, qui dispose : «Lorsqu’un Etat membre a l’intention de limiter le nombre de licences individuelles octroyées, il publie sa décision de limiter le nombre de licences individuelles et la motive».
En outre, l’article 9, alinéa 1 de l’Acte Additionnel susnommé indique clairement que «Les états membres veillent à ne pas imposer d’obstacles non conformes à la réglementation concernant le nombre d’opérateurs ou de fournisseurs de services sur le marché des TIC».
En plus, l’article 14 alinéa 3 du même Acte Additionnel énonce que « Les Etats membres octroient les licences individuelles sur la base de critères de sélection objectifs, non discriminatoires, transparents, proportionnés et détaillés. Lors de toute sélection, ils tiennent dûment compte de la nécessité de faciliter le développement de la concurrence et de maximiser les avantages pour les utilisateurs ». Enfin, toutes ces dispositions sont complétées par l’article 11 dudit Acte Additionnel, qui énonce expressément : «Pour assurer l’équité et la transparence dans le processus d’octroi de licence ou d’autorisation, les Etats membres doivent mener des consultations avec l’industrie, le public et d’autres parties intéressées ».
Toutes ces exigences ont été bafouées. Ainsi, l’appel d’offres pour l’attribution de licences FAI, qui a été conduit par l’ARTP, au regard du droit communautaire, est illégal.
Les décrets n°2017-322, n°2017-323, n°2017-324, du 20 février 2017, portant approbation des conventions de concession des FAI, et de leurs cahiers de charges, pris à la suite d’un appel d’offres illégal, sont eux aussi illégaux. En effet, Ils font référence à l’article 23 du Code des télécommunications de 2011, modifié par la Loi 2017-13 du 20 janvier 2017. Par conséquent, le régime juridique des FAI fixé dans les décrets incriminés, doit se conformer à cette dernière Loi, qui exclue expressément du champ du régime de la licence l’activité des fournisseurs d’accès à Internet. Il en résulte que le régime juridique des FAI, fixé dans les décrets portant approbation des conventions de concession, et des cahiers des charges, est erroné, lit-on à travers leur communiqué.
En outre, l’article 4, alinéa 2 de ces décrets disposent: «La fourniture, sous quelque forme que ce soit, de services audiovisuels et de téléphonie est exclue du champ d’application du présent cahier des charges».
En termes clairs, il est interdit aux nouveaux FAI d’offrir aux Sénégalais des services de type triple play à savoir: Internet haut débit, Téléphonie et Télévision. En sus de cela, cette disposition servira de base légale pour mettre dans leurs conditions de ventes devant être proposées par ces FAI, des clauses leur permettant de bloquer l’accès aux applications de téléphonie par internet tels que: WhatsApp, Viber, Messenger, Skype, etc.
Rien ne justifie ni légalement, ni économiquement, la restriction du champ d’activité des FAI. D’ailleurs, l’article 4 du Code de 2011 dispose, en son alinéa 3 que «La présente loi vise à instaurer de façon progressive un marché ouvert et concurrentiel des réseaux et services de télécommunications dans le respect des intérêts des utilisateurs en termes de choix, de prix, de qualité et de rentabilité en veillant à ce qu’il n’y ait pas, dans des circonstances analogues, de discrimination dans le traitement des opérateurs et fournisseurs de services de télécommunications».
En outre, aux termes des dispositions de l’article 5, alinéa 2 de l’Acte Additionnel A/SA 3/01/07, «Les états membres doivent éviter d’imposer des limites au service offert sur un réseau sauf en cas de sauvegarde de l’ordre public et des bonnes mœurs». Quant à l’article 6, alinéa 4, il énonce que «Toute condition imposée à l’exploitation de réseaux ou à la fourniture de services de télécommunications doit être non discriminatoire, proportionnée, transparente et justifié par rapport au réseau ou au service concerné». Dans le même sens, l’article 5, alinéa 1er énonce expressément que «Les états membres veillent à promouvoir la neutralité des technologies et des services afin de pouvoir s’adapter à la convergence et aux nouvelles technologies».
Au regard de ce qui précède, toute cette réglementation est illégale. Nous rappelons, qu’aussi bien le Traité révisé de la CEDEAO (articles 5), que celui de l’UEMOA (article 6) prévoient le principe de la primauté du droit communautaire, qui voudrait que les actes communautaires soient appliqués dans chaque Etat membre nonobstant toute législation nationale contraire, antérieure ou postérieure. La primauté du droit communautaire s’applique aux normes réglementaires et législatives nationales. Ainsi, si une norme sénégalaise est en conflit avec une norme UEMOA/CDEAO, la norme sénégalaise doit être écartée au profit de la norme communautaire.
Toute cette procédure d’attribution des licences FAI est encore un exemple récurrent de la pratique de nos lois. La violation des textes, l’absence de pertinence, la mise en œuvre biaisée, tout cela, cumulé selon les objectifs, fait que les autorités prennent des décisions qui ne sont pas au service de l’intérêt national, tout en clamant le contraire, en invoquant le respect de la loi. Cette procédure révèle aussi, la méconnaissance, l’ignorance et une certaine impréparation de nos autorités à intégrer le droit communautaire dans les actes réglementaires qu’elles prennent au moment où il y a de grands pans du droit qui lient le Sénégal. La primauté du droit communautaire s’impose à l’ensemble des autorités nationales de ce pays, y compris les autorités décentralisées telles que les collectivités locales.
En plus d’être illégaux, les décrets du 20 février 2017 sont économiquement inefficaces et annihilent la dynamique de concurrence entre FAI. Ils vont à l’encontre tant du pouvoir d’achat des Sénégalais, de l’innovation que du développement de l’économie numérique, donc en contradiction avec l’objectif déclaré. Il est indiqué dans ces décrets du 20 février 2017 que le Gouvernement du Sénégal a décidé d’attribuer de nouvelles licences d’opérateurs de télécommunications sur le segment de l’internet afin d’accroître l’accessibilité et l’usage des services de l’internet haut débit et promouvoir l’essor d’une économie numérique compétitive et inclusive.
En réalité, l’objectif est de maintenir une situation de rente, pour un opérateur protectionniste et incapable de s’adapter à la concurrence. Dans cette limitation de l’activité des nouveaux FAI, presque tout le monde est perdant : les utilisateurs, les entreprises, les PME, et les Startups, mais surtout la jeunesse de ce pays. Le seul bénéficiaire est l’opérateur préféré du gouvernement du Sénégal. Cette limitation de l’activité des nouveaux FAI envoie un signal négatif indiquant que la technologie n’est pas la bienvenue dans notre pays et que les Sénégalais n’en profiteront pas. D’ailleurs, on se demande comment les autorités nationales peuvent interdire à leurs citoyens l’accès à des services qui leur sont bénéfiques dans leur vie économique et sociale.
La multiplication des décisions permettant d’imposer des mesures obligatoires de blocage en cours au Sénégal montre que la pression visant à restreindre la liberté de communication sur internet s’accroît. Que des opérateurs défendent leurs intérêts n’a rien de répréhensible. C’est plutôt le soutien des autorités gouvernementales à ces intérêts privés au détriment de l’intérêt national, qui pose problème.
Aujourd’hui, le Sénégal est le seul pays africain et l’un des rares pays au monde à s’engager dans cette voie de la censure du net et des services. La tendance mondiale est à l’inscription du libre accès à la technologie dans les lois ordinaires, ou même dans la loi fondamentale (la Constitution) afin que sa remise en cause ne dépende point de la volonté d’un homme politique. Ainsi, dans les faits, le Sénégal prend le chemin inverse des pays qui placent le numérique au cœur de leur stratégie de développement, malgré le discours officiel qui clame le contraire.
Le Sénégal a déjà raté plusieurs virages, qui auraient dû en faire un pays émergent. Aujourd’hui, le virage technologique est à notre portée. On peut choisir, soit de le prendre, soit encore une fois de le rater, et attendre le prochain virage qui arrivera dans un siècle ou deux … ou peut-être jamais. Le monde avance, et il avancera avec ou sans nous … Ce n’est pas en interdisant à ses citoyens l’accès à la technologie qu’un pays affirme sa souveraineté. C’est en devenant contributeur au progrès technologique, et non censeur, qu’un pays affirme sa souveraineté et devient ainsi une terre d’espoir pour sa jeunesse.
« Cette jeunesse, sans perspectives d’emplois, en quête de revenus, s’active dans l’entreprenariat numérique, travaille dur dans les PME pour créer de la valeur ajoutée, innove dans les startups et cherche à se frayer un chemin dans cette jungle du numérique. Cette jeunesse bouillonne d’idées et de créativité. Elle ne cherche ni soutien, ni financement sur fonds de calculs politiques, elle veut juste un accès à internet mais surtout un accès à un internet neutre qui leur permet de bénéficier de la concurrence entre opérateurs et fournisseurs de services afin de saisir les opportunités qu’offre le développement du numérique » explique le communiqué.
Aussi, cette régulation de connivence des autorités, en faveur du lobby des télécoms, inégalitaire et inefficace sur le plan économique, qui n’est jamais au service du citoyen sénégalais, doit-elle s’arrêter. La colère monte et il serait temps qu’elle soit entendue, pour un développement plus efficace en termes économiques mais aussi humains et sociaux de ce pays. Cette nouvelle dynamique rendrait les citoyens sénégalais plus confiants en leur pays et seraient ainsi dans une spirale vertueuse qui tirerait tout le monde vers le haut.
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