Cameroun : ces exilés qui passent leur temps à espionner le président Paul Biya

Paul Biya
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Brice Nitcheu raconte la scène avec la voix enjouée de ceux qui sont persuadés d’avoir accompli un acte de bravoure. Parti de Londres où il réside, l’homme a retrouvé à Genève, le dimanche 15 mars, deux de ses « camarades » du Collectif des organisations démocratiques de la diaspora (Code) — des activistes camerounais installés à l’étranger qui réclament l’alternance dans leur pays.

L’objectif est de faire du grabuge devant le luxueux hôtel Intercontinental, où séjourne Paul Biya depuis début mars. Le petit groupe a crié des slogans hostiles au président camerounais avant d’être dispersé par des forces de sécurité. Rien n’indique qu’ils aient troublé qui que ce soit mais ils estiment que leur but est atteint : la vidéo de la scène sera diffusée sur les réseaux sociaux.

Autre lieu, autre scène. Gare de Lyon, Paris, mardi 10 mars. Abdelaziz Moundé, consultant et coordonnateur d’un think tank pour l’alternance au Cameroun, observe en fin de matinée la première dame du Cameroun, Chantal Biya, descendant d’un TGV en provenance de Genève. « Elle portait un ensemble vert et était entourée de deux hommes de sécurité. Le lendemain, au même endroit, j’ai aussi vu Ivo Desancio [un haut responsable de la sécurité présidentielle] », soutient celui qui affirme avoir des détails sur la suite du séjour de Chantal Biya à Paris — d’après lui, un passage par l’hôpital américain de Neuilly puis un séjour à la villa Maillot non loin de là, la résidence qu’occupe depuis trois ans le couple présidentiel lors de ses voyages privés à Paris. Abdelaziz Moundé publie le tout dans un billet sarcastique sur son compte Facebook.

Capture d'écran page  du compte Facebook d'Abdelaziz Moundé.

Ainsi fonctionne le « Biya spotting » (sur le modèle de Trainspotting, film britannique de Dany Boyle en 1996). Ces Camerounais de la diaspora, une trentaine au maximum, hostiles au régime de Paul Biya, épient les moindres faits et gestes du couple présidentiel à l’étranger. Leur existence est ainsi paradoxalement déterminée par celui qu’ils considèrent comme leur adversaire : ils font le guet pendant des heures devant une résidence qu’ils pensent appartenir à Paul et Chantal Biya à Genève, ils « planquent » en face de l’hôtel Intercontinental, cherchent des informateurs au sein des Hôpitaux universitaires de Genève, se relaient devant la villa Maillot à Neuilly ou surveillent les alentours du très chic hôtel Meurice, au cœur de Paris.

Officiellement, le président, 82 ans dont 33 au pouvoir, affiche la plus complète indifférence à l’égard de ces irréductibles dont l’action n’a débouché sur rien de concret. Eux ne se découragent pas et estiment qu’il faut savoir exactement où se trouvent les Biya, « pour éventuellement mener des actions d’éclat ». Ministre de la communication et porte-parole du gouvernement camerounais, Issa Tchiroma, lui, s’est fendu d’une réaction le lundi 16 mars, pour dénoncer « ces contempteurs et autres oiseaux de mauvais augure [qui] doivent savoir que, jamais, ils n’auront raison de la détermination de la nation camerounaise et de son chef à conduire notre pays vers son destin prodigieux et son essor inexorable. » Ses remarques lors d’une conférence de presse à Yaoundé faisaient suite à des informations parues dans la presse, y compris dans Le Monde, sur le séjour en Europe du couple présidentiel qui ont provoqué un certain émoi au Cameroun.

Tout commence à l’université de Yaoundé

L’histoire de ces « Biya spotters » remonte à une vingtaine d’années. En avril 1991, les étudiants de l’université de Yaoundé, en grève, exigent de Paul Biya l’organisation d’une conférence nationale souveraine. Robert Wafo, Brice Nitcheu et d’autres comme Moise Essoh sont les meneurs de la fronde. Le mouvement est réprimé et ses animateurs prennent le chemin de l’exil. Ils vivent aujourd’hui à Paris, Londres, Genève, Bruxelles ou Boston. Ils sont médecins, chefs d’entreprises, enseignants ou employés administratifs. Mais quand Paul Biya séjourne en Europe avec sa suite de plusieurs dizaines de personnes parmi lesquelles les activistes exilés affirment avoir des informateurs, ils accourent toutes affaires cessantes.

L’un de leurs plus grands faits d’armes, c’était le 7 décembre 2013. Paul Biya est à Paris pour un sommet sur la paix et la sécurité en Afrique. Des membres du Code, embusqués depuis des heures dans le hall de l’hôtel Meurisse, parviennent à déjouer les services de sécurité et apostropher le président en lui demandant la libération de prisonniers politiques au Cameroun. L’incident dure moins d’une minute, mais il sera abondamment relayé sur les plateformes de partage de vidéos.

Il arrive que les opérations des « Biya spotters » se retournent contre eux. Actions quelques fois brouillonnes, avortées, mal filmées. Ils passent pour des agitateurs, des manipulateurs, ne serait-ce qu’en raison du vocabulaire utilisé : « assauts », « soulèvements », « combattants ». Ils grossissent volontairement les faits. « Nous avons en face de nous des professionnels du mensonge et de la manipulation. Une fois que nous tenons une information, nous essayons de l’amplifier pour mieux alerter l’opinion », se justifie Robert Wafo Wanto, du Conseil des Camerounais de la diaspora, lequel agit avec le Code depuis novembre 2014 au sein du Front uni pour le changement.

Quelle efficacité ?

Au-delà de méthodes parfois approximatives, leurs informations sur les Biya sont souvent exactes et si elles trouvent un certain écho, c’est que Paul Biya, contrairement à d’autres dirigeants, ne publie pas son agenda quotidien ni son bulletin de santé.

Mais ces activistes sont-ils réellement en capacité de favoriser une alternance au Cameroun ? « Ce type de démarche contestataire et non programmatique a fonctionné à un moment. Mais cela ne peut pas durer. Il nous faut inventer de nouvelles modalités d’action, un discours, de la méthode », estime Abdelaziz Moundé, du cercle de réflexion Mouvement pour l’alternance au Cameroun.

L’opposition camerounaise a d’ailleurs un avis mitigé sur l’action des « Biya spotters ». « Pendant longtemps, leurs actions ont été isolées et un peu tatillonnes. Cela n’a pas profité à leur cause », estime Célestin Ndjamen, conseiller municipal à Douala et secrétaire national aux droits de l’homme du Social Democratic Front (SDF), le principal parti d’opposition. « Leurs dissensions internes ont fait douter de l’efficacité de leur stratégie, poursuit Célestin Djamen, qui reconnaît néanmoins que si [les Biya spotters] ont pris cette voie, c’est parce que nous avons un régime imperméable à la critique. Ce ne sont pas des antidémocrates. »

Pour l’instant, les activistes exilés du Front uni pour le changement disent avoir réuni un fonds de 5 000 euros destiné à financer leurs déplacements à Paris ou à Genève pour observer les Biya. Le Cameroun est pour eux hors d’atteinte… Ils attendent sans doute l’alternance.

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Prosper Akouegnon
Prosper possède 15 ans d'expérience dans le journalisme. Il a précedemment travaillé pour le journal le Républicain et Le Scorpion Akéklé à Lomé. Devant la montée en force de la presse en ligne et la chute des presses traditionnelles, il décide de monter le site d'information en ligne AfricTelegraph en 2015 et s'installe au Gabon.

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