A douze mois de l’élection présidentielle force est de constater que le système démocratique sénégalais est à refonder.
En effet, une véritable crise de confiance s’est installée depuis plusieurs années entre les sénégalais et leurs dirigeants politiques. Celle-ci se manifeste par les taux d’abstention élevés lors des différentes élections, par l’impossibilité des partis politiques de mobiliser des supposés militants sans faire recours à une distribution massive d’argent mais surtout par le développement d’un esprit de contestation des décisions politiques par les citoyens. Cette fracture entre les sénégalais et la politique, est nourrie par l’échec des politiques, les engagements jamais respectés et la transhumance, lit-on à travers le communiqué de l’association sénégalaise des TIC.
« Le fonctionnement de notre système démocratique est loin de correspondre au principe approuvé et adopté à l’article premier, alinéa 6 de la constitution du Sénégal : Gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. En effet, la démocratie ne consiste pas à voter, une fois tous les cinq ans, pour des personnes que l’on n’a pas choisi de présenter et qui, une fois en fonction, auront le droit à peu près illimité d’agir à leur guise, échappant à tout contrôle. La démocratie ne se mesure pas au nombre de partis politiques, d’élections organisées, du droit de marche et de certains médias dominants qui n’arrêtent pas de nous la vendre malgré ses limites quotidiennes », ajoute t-elle.
Toute l’astuce de cette pseudo-démocratie repose sur l’octroi aux citoyens d’un droit de vote qui est illusoire car en réalité les citoyens ne votent rien ; ils élisent. Et ils n’élisent pas qui ils veulent, mais qui est candidat. Or, être candidat n’est pas à la portée du premier venu, mais seulement des citoyens ayant un appareil : un parti et de l’argent. Les programmes présentés par les candidats, d’après lesquels les électeurs sont censés les départager, ne sont pas moins illusoires puisqu’il n’y a pas de mandat impératif.
D’ailleurs, le mandat impératif est illégal au Sénégal (Article 64 de la Constitution). L’absence de mandat impératif accorde aux élus, le droit de ne pas appliquer leur programme. Pire encore, ils sont même libres de le trahir, de faire tout le contraire de ce qui avait été promis. Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Ainsi, la volonté des citoyens est remplacée par celle des élus, tout le contraire de la démocratie.
En outre, la démocratie repose sur le principe de la souveraineté du peuple : les élus tirent leur légitimité du vote des citoyens. Mais, dans les conditions actuelles, les élections violent aussitôt ce même principe, puisque les élus sont indépendants des citoyens car le vote des élus est personnel (Article 64 de la constitution du Sénégal). Si l’élection confère une légitimité aux élus pour qu’ils occupent la fonction de législateur, elle ne légitime pas que le principe soit violé. L’élection ne confère pas aux élus le droit d’imposer des lois au peuple, de mettre leur volonté à la place de la sienne et de confisquer la souveraineté. En définitive, les élus ne représentent qu’eux-mêmes.
En vertu de tout ce qui précède, prétendre qu’un tel système politique est démocratique est une tromperie. Les sénégalais en prennent conscience et se rendent compte de jour en jour que ce système n’est démocratique que de nom. Cette prise de conscience, génère une profonde volonté de rupture démocratique. Cette dernière se manifeste par la contestation de plus en plus importante des décisions politiques par les citoyens.
Cette contestation citoyenne aurait dû être des alertes pour la classe politique sénégalaise de symptômes d’un malaise démocratique. Malheureusement, face à cette menace, les responsables politiques semblent se refuser à toute stratégie de prise en charge de cette problématique pour retrouver une légitimité. Ainsi, le dialogue politique en cours au Sénégal, reprend de plus belle, les sempiternelles querelles de chapelle et le débat récurrent pour conserver ou accéder au pouvoir. Il ne prend nullement en charge, l’urgente et l’impérieuse nécessité de restaurer la confiance entre les citoyens sénégalais et sa classe politique. Il révèle plutôt, encore une fois, l’exclusion des citoyens sénégalais de la décision politique.
Le préalable fondamental à tout travail d’audit du processus électoral, objet du dialogue politique en cours, est la refondation du système politique sénégalais. L’enjeu est de taille : faire en sorte que notre démocratie devienne réellement participative, que le mot politique ne soit plus négativement chargé mais retrouve ses lettres de noblesses.
La démocratie est le système politique dans lequel les lois et les actes du pouvoir législatif et le pouvoir exécutif sont l’ouvrage direct du peuple ou l’objet de son consentement explicite. Mais face à l’impossibilité de rassembler les citoyens pour légiférer et exécuter collectivement, une forme de représentation doit être élaborée et mise en place, procéder à des élections pour déléguer.
Cependant, il est indispensable pour un bon fonctionnement du système démocratique que des référendums sur certaines questions doivent être obligatoires de par la constitution et les citoyens doivent pouvoir en provoquer à volonté. En outre, des contre-pouvoirs citoyens doivent être prévus afin que ces derniers, quand ils ne décident pas eux-mêmes, puisse au moins ratifier ou s’opposer aux décisions des élus et les faire ainsi siennes.
Cette nouvelle approche de la démocratie (impliquer les citoyens dans le débat et la décision politique mais aussi son évaluation) peut grandement être facilitée par le numérique. En effet, à l’heure où la défiance envers les élus reste plus que jamais d’actualité au Sénégal avec la montée en puissance d’une conscience citoyenne, ASUTIC estime que les réponses à la complexité des défis démocratiques auxquels nous sommes confrontés ne se trouveront ni dans un bureau ministériel ni dans le huis clos d’une réunion d’experts.
Cette exigence citoyenne demande toutefois de repenser complètement notre pseudo démocratie. Nous avons besoin de passer à l’ère de l’intelligence collective et créer des contre-pouvoirs citoyens. Dans ce sens, le système représentatif sénégalais pour être performant et répondre aux exigences du moment devra désormais s’appuyer sur les méthodes collaboratives facilitées par le numérique. Les opportunités qu’offre le numérique en démocratie sont indéniables: améliorer l’information des citoyens, la transparence, mobiliser les citoyens, accroitre la participation citoyenne, évaluer et contrôler l’action des élus. Une démocratie numérique qui correspond davantage à la société de l’information que le Sénégal est entrain de construire avec des citoyens de plus en plus connectés, mieux informés, vigilants qui exigent leur implication dans la décision politique.
Le chemin qui y mène est très long et semés d’embuches car faire accepter l’idée d’une refondation de notre démocratie s’avère déjà difficile quand le système politique en place a déjà réussi à faire croire aux citoyens qu’ils sont dans une démocratie.
Enfin, pour rétablir les liens distendus entre les sénégalais et la politique, ASUTIC estime que la refondation de la démocratie sénégalaise pour une véritable démocratie ne devra pas être un leurre de plus. Si le but est seulement de rassurer les citoyens, de leur donner le sentiment qu’on les écoute, de leur laisser un petit espace d’agitation, l’objectif sera raté.
Aussi, ASUTIC invite les citoyens, la société civile, les partis politiques à une réflexion sur les réformes constitutionnelles à mettre en œuvre afin que les conditions de restauration de la confiance entre les sénégalais et la politique, soient créées. Dans ce sens, des réformes constitutionnelles visant à impliquer les citoyens sénégalais dans les décisions politiques et leur évaluation doivent être inscrites en lettres d’or dans le programme de tout candidat à l’élection présidentielle du 24 Février 2019.
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