Crise anglophone au Cameroun : Yaoundé face à l’impasse diplomatique

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Malgré l’aggravation du conflit dans ses régions anglophones, le gouvernement camerounais refuse toute médiation étrangère, privilégiant une réponse exclusivement nationale.

Une crise enracinée dans les fractures de l’histoire

La crise qui déchire les régions anglophones du Cameroun trouve ses racines dans l’héritage douloureux du XXe siècle. Après la Première Guerre mondiale, le territoire camerounais, auparavant colonie allemande, est divisé en deux : une partie passe sous mandat français, l’autre sous mandat britannique. Cette partition engendre la coexistence de deux systèmes politiques, juridiques, éducatifs et culturels distincts. À l’indépendance en 1961, l’intégration des deux Cameroun se fait dans la douleur. Les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest se sentent rapidement marginalisées dans un État centralisé où le français et les institutions héritées de la France dominent. Cette fracture identitaire, jamais réellement soignée, ressurgit aujourd’hui avec une intensité dramatique.

Tout part, en 2016, de mouvements sociaux menés par des avocats et enseignants anglophones. Ceux-ci protestent contre l’imposition du droit civil francophone et la nomination de professeurs francophones dans leurs établissements. Ce qui aurait pu rester un différend sectoriel se transforme rapidement en brasier politique. Les manifestations pacifiques sont brutalement réprimées. Face à l’intransigeance du pouvoir, une partie de la jeunesse bascule dans le séparatisme. Des groupes armés réclament alors l’indépendance d’un nouvel État : l’Ambazonie. Le conflit entre les forces gouvernementales et les milices séparatistes entraîne une montée en violence continue depuis 2017, dans une guerre de basse intensité mais à forte portée humaine.

En dépit de son ampleur, le conflit anglophone reste peu médiatisé à l’international. Pourtant, les chiffres sont alarmants : plus de 6 000 morts, près de 800 000 déplacés internes, des milliers de réfugiés au Nigeria. Des villages entiers sont détruits, des écoles fermées, des familles décimées. Le tissu social des régions concernées est en lambeaux. L’économie locale s’effondre. Ce drame silencieux est alimenté par le mutisme volontaire de l’État camerounais, qui nie l’existence d’une guerre civile tout en menant des opérations militaires de grande ampleur.

Le refus de l’aide étrangère : doctrine d’orgueil ou calcul stratégique ?

La ligne du gouvernement camerounais est constante : le conflit dans les régions anglophones est une affaire intérieure. Toute tentative d’intervention ou de médiation internationale est perçue comme une remise en cause de la souveraineté de l’État. Cette posture repose sur un principe fondamental de la diplomatie camerounaise : le rejet de toute « ingérence étrangère », y compris humanitaire. Selon Yaoundé, ouvrir la porte à une médiation internationale reviendrait à reconnaître une légitimité politique aux groupes séparatistes, ce que le pouvoir refuse catégoriquement.

Plusieurs tentatives de médiation ont été lancées. Le Canada, en janvier 2023, annonce avoir été désigné comme facilitateur entre les parties en conflit. Le Cameroun dément immédiatement. La Suisse, sollicitée dès 2019, subit le même sort. L’Église catholique, très présente dans les deux camps, a proposé un terrain d’entente – sans plus de succès. Ces refus à répétition s’expliquent par la volonté du pouvoir de conserver le monopole du processus de négociation, comme l’a montré l’organisation du Grand Dialogue National en 2019, largement contrôlé par Yaoundé et boycotté par les principaux acteurs séparatistes.

Ce rejet obstiné de l’aide internationale ne se limite pas à une posture politique. Il a des conséquences concrètes. Les ONG ont de plus en plus de mal à accéder aux zones en conflit. Les fonds internationaux, déjà limités, peinent à être mobilisés pour une crise que le gouvernement lui-même refuse de reconnaître comme telle. Cette stratégie d’isolement, si elle préserve la façade de l’unité nationale, retarde la sortie de crise et accentue les souffrances civiles. Elle laisse aussi les groupes armés se radicaliser sans contrepoids, en l’absence d’un canal diplomatique crédible.

Une crise humanitaire et sécuritaire aux répercussions durables

Le Cameroun est aujourd’hui le théâtre d’une des crises humanitaires les plus graves d’Afrique de l’Ouest. Les infrastructures de santé, d’éducation et de transport sont en ruine dans les régions concernées. L’UNICEF estime que plus de 700 000 enfants sont privés d’école. Des centaines de milliers de personnes vivent dans des camps de fortune ou dans des villages reculés, sans eau potable, ni électricité, ni accès aux soins. Malgré les appels répétés des agences de l’ONU, l’accès humanitaire reste restreint, car le pouvoir craint que les ONG ne documentent les exactions ou collaborent indirectement avec les séparatistes.

Avant le conflit, les régions anglophones étaient parmi les plus dynamiques du pays, grâce à l’agriculture, au commerce frontalier avec le Nigeria et à un secteur informel vivace. Aujourd’hui, tout est paralysé. Les plantations sont abandonnées, les routes bloquées par des check-points armés, les jeunes fuient vers les villes ou l’étranger. L’État perd ainsi une part significative de son tissu économique, et la désespérance sociale nourrit la spirale de la violence. Même les entreprises qui voudraient s’implanter ou revenir sont découragées par l’instabilité permanente.

Les observateurs s’accordent à dire qu’une résolution durable du conflit passe par l’ouverture d’un dialogue inclusif, reposant sur une reconnaissance des griefs historiques des anglophones et une réforme institutionnelle sérieuse (fédéralisme, bilinguisme effectif, autonomie locale…). Tant que l’État se cantonne à une logique purement sécuritaire et refuse toute aide externe, le conflit restera un abcès purulent au sein de la République camerounaise. Le temps joue contre le gouvernement : plus la crise dure, plus la réconciliation sera difficile. Et plus les soutiens extérieurs se détournent d’un pays qui persiste à se refermer sur lui-même.

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