Erdogan relance la médiation : vers un sommet inédit entre Poutine, Zelensky et Trump ?

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Le président turc propose d’organiser à Istanbul une rencontre au sommet entre les présidents russe et ukrainien, et l’ex-chef d’État américain, dans une tentative audacieuse de relancer le dialogue sur la guerre en Ukraine.

Une diplomatie turque en quête de centralité mondiale

Depuis le début du conflit russo-ukrainien en février 2022, la Turquie s’est imposée comme l’un des rares acteurs à maintenir un contact diplomatique étroit avec les deux belligérants. Membre de l’OTAN, fournisseur de drones à l’Ukraine, mais aussi partenaire commercial actif de Moscou, Ankara cultive une position d’équilibre, parfois critiquée en Occident, mais stratégiquement payante. En mars 2022, les pourparlers de paix avaient d’ailleurs déjà été accueillis à Istanbul, sans aboutir.

En proposant aujourd’hui un sommet trilatéral entre Poutine, Zelensky et Trump, Recep Tayyip Erdogan ne fait pas que réactiver une voie diplomatique : il ambitionne de faire de la Turquie le théâtre d’un tournant géopolitique majeur. À l’heure où l’Europe est divisée, les États-Unis en période électorale, et l’ONU paralysée, la Turquie veut redevenir l’épicentre d’une solution de paix, comme l’Égypte l’était au temps de Camp David.

L’intervention du président turc n’est pas seulement une stratégie d’État : elle porte aussi l’empreinte d’un chef d’État qui cherche à réaffirmer son poids sur la scène internationale. À l’approche du centenaire de la République turque, Erdogan veut inscrire son nom dans l’histoire diplomatique mondiale, à l’instar d’un Sadate ou d’un Kissinger. Réunir les trois figures les plus emblématiques du conflit en un seul lieu — Poutine, Zelensky, Trump — constituerait un événement inédit depuis les grandes conférences du XXe siècle.

Lors d’une déclaration officielle, Erdogan a affirmé : « Mon plus grand souhait est de réunir Poutine et Zelensky à Istanbul ou Ankara. J’aimerais même y associer Donald Trump. » Une proposition spectaculaire, mais qui repose sur une logique géopolitique concrète : la Turquie est aujourd’hui le seul État à pouvoir parler avec chacun des protagonistes sans apparaître comme juge et partie.

Ce positionnement ambitionne aussi de repositionner la Turquie dans l’échiquier mondial. En offrant ses bons offices, Erdogan cherche à affirmer un rôle autonome, non aligné, dans un monde devenu multipolaire. Ni vassale de Washington, ni bras armé de Moscou, la diplomatie turque revendique une troisième voie, plus pragmatique, plus transactionnelle, capable de faire dialoguer les antagonismes. Dans cette optique, un sommet à Istanbul ne serait pas seulement un outil de désescalade, mais une démonstration de puissance douce.

Des réactions contrastées mais porteuses d’espoir

Du côté des États-Unis, la réaction à la proposition d’Erdogan est mesurée mais ouverte. Donald Trump, actuellement en campagne pour un retour à la Maison Blanche, s’est dit favorable à une rencontre si les deux autres parties — Zelensky et Poutine — acceptaient d’y participer. Son entourage a précisé : « Le président est prêt à aider à ramener la paix. Il veut des actes, pas des paroles. »

Cette prise de position ne surprend pas : Trump a toujours entretenu une relation ambivalente avec Vladimir Poutine, qu’il qualifie à la fois de « stratège redoutable » et de « négociateur redoutable ». Il avait déjà affirmé à plusieurs reprises qu’il aurait pu, s’il avait été réélu, « éviter la guerre en Ukraine ». Sa participation, même symbolique, donnerait au sommet une résonance internationale puissante et pourrait servir ses intérêts électoraux.

Volodymyr Zelensky, pour sa part, a exprimé une ouverture prudente à l’idée d’un sommet. Conscient que le soutien occidental à l’Ukraine pourrait s’éroder avec le temps, et que l’année 2025 pourrait marquer un tournant stratégique, le président ukrainien sait qu’il lui faudra tôt ou tard envisager une issue politique. Istanbul, en tant que lieu neutre et historiquement lié à la diplomatie russo-ukrainienne, constitue une option acceptable.

Cependant, Kiev pose des conditions claires : la reconnaissance de ses frontières internationalement reconnues, la restitution des territoires occupés, et le jugement des crimes de guerre. Des lignes rouges qui rendent la perspective d’un accord très difficile à court terme.

Moscou n’a pas rejeté l’offre d’Erdogan, mais reste prudente. Le Kremlin a rappelé qu’un « document de paix » avait été proposé à Kiev, basé sur un retrait militaire ukrainien des territoires annexés par la Russie. Cette proposition, inacceptable pour l’Ukraine, sert pour l’instant de prétexte à une guerre d’usure sur le front de l’est.

Toutefois, le fait que la Russie ne ferme pas la porte à un sommet turc est en soi révélateur : elle cherche à maintenir des canaux diplomatiques ouverts, tout en poursuivant ses opérations militaires. Erdogan, de son côté, semble prêt à jouer sur cette ambivalence pour forcer un début de dialogue.

Les enjeux d’un sommet inédit à Istanbul

Après plus de trois ans de conflit, le front en Ukraine évolue peu. Les deux armées se font face sur des lignes stabilisées, les pertes sont immenses, et l’issue militaire semble de plus en plus incertaine. Dans ce contexte, un sommet trilatéral — même sans accord final — pourrait rompre l’inertie diplomatique et réintroduire la logique de négociation dans un conflit devenu principalement militaire.

La simple image d’un Poutine, d’un Zelensky et d’un Trump réunis à Istanbul aurait une valeur symbolique immense. Elle redonnerait espoir aux populations affectées, et pourrait ouvrir la voie à de futures discussions sur des points plus techniques : cessez-le-feu localisés, corridors humanitaires, échanges de prisonniers, reconstruction partielle.

Si ce sommet voit le jour, il consacrera également un changement d’architecture géopolitique. Il signifiera que les grandes décisions du monde ne se prennent plus uniquement à Washington, Bruxelles ou Pékin, mais aussi dans des puissances régionales capables de médiation. La Turquie, déjà active dans le Caucase, en Syrie, et en Libye, deviendrait ainsi un acteur central de la stabilité eurasienne.

Pour Erdogan, l’enjeu est aussi personnel : asseoir sa stature d’homme d’État capable de parler à tous les camps, et renforcer la place de la Turquie dans le dialogue islamo-occidental, en pleine recomposition géopolitique au Moyen-Orient.

Mais un tel sommet n’est pas sans obstacles. Le climat de méfiance entre les parties est extrême. Les revendications territoriales de la Russie sont irréconciliables avec les demandes de restitution de l’Ukraine. Donald Trump, quant à lui, reste une figure clivante, dont la présence pourrait autant dynamiser que déstabiliser les échanges.

En outre, le contexte électoral américain complique la donne. Si Trump n’est pas encore réélu, sa participation serait informelle, sans légitimité étatique, et pourrait entrer en conflit avec les positions de l’administration Biden. Enfin, l’année 2025 est aussi celle d’élections dans plusieurs pays européens, ce qui pourrait peser sur le niveau de soutien à l’Ukraine dans les semaines à venir.

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